Gilbert Keith Chesterton : Le Nommé Jeudi (The Man who was Thursday)
Le Nommé Jeudi s'ouvre sur une joute oratoire entre Gabriel Syme, un poète prétextant que la beauté se trouve dans l'aspect ordonné des choses, et Lucien Gregory, un anarchiste considérant qu'au contraire, l'homme qui jette une bombe est un artiste, parce qu'il préfère à toutes choses la beauté d'un grand instant. Ces deux visions opposées représentent un leitmotiv de l'oeuvre de Gilbert Keith Chesterton, ou GK (à ne pas confondre avec JK, le chanteur cocaïnomane de JAMIROQUAI), l'un des auteurs anglais les plus prolifiques et influents du début du XXème siècle. Tour à tour journaliste - il est rédacteur en chef de The New Witness succédant à son frère mort au front, puis de GK's Weekly - satiriste et romancier, G. K. Chesterton a fait sien le principe du paradoxe, comme Oscar Wilde ou George Bernard Shaw, deux auteurs auxquels il est souvent associé pour sa prose critique. Il embrasse la foi chrétienne en 1922, après avoir flirté avec l'agnosticisme et l'occulte, mais les idées qu'il développe dans ses essais ou ses romans sont plutôt celles d'un esprit progressiste. Son physique massif (130 kg) contraste également avec sa plume agile qui décrit constamment des personnages se révélant l'exact opposé de ce que l'on pensait. Ainsi, après le clash entre le dandy Syme et l'impétueux Gregory, les deux hommes vont se livrer un secret et l'anarchiste va introduire son acolyte dans un club pour le moins obscur qui comprend des individus portés sur la dynamite et rebaptisés selon les jours de la semaine. On suivra dès lors Gabriel Syme dans les méandres de cette association nihiliste à laquelle il est fatalement lié dans la mesure où il a promis à Gregory de ne pas ébruiter le secret.
A la fois satire politique, récit d'espionnage et même fable métaphysique pour ce qui est de sa dernière partie, Le Nommé Jeudi se place comme l'un des récits majeurs de Chesterton à qui l'on doit également une cinquantaine de nouvelles mettant en scène un prêtre, le placide père Brown, qui résout des affaires criminelles grâce à des circuits neuronaux tout sauf rouillés et auquel des écrivains aussi renommés que Agatha Christie, Jorge Luis Borges ou Terry Pratchett doivent un lourd tribut. Ce dernier, qui a co-écrit De bons Présages avec Neil Gaiman, dédie d'ailleurs ce roman à Chesterton, « un homme qui était au fait des choses ». Tant qu'on y est, citons également Boris Akounine qui, dans le sixième épisode des aventures d'Eraste Fandorine, Le Conseiller d'Etat, reprend la thématique des anarchistes, dans un contexte historique similaire à The Man who was Thursday. Le courageux Syme sera ainsi confronté au terrible et impalpable Dimanche, le président de cette association de malfaiteurs, mais également à ses autres membres, tels que le Professeur de Worms ou le Docteur Bull, qui projettent de tuer le Tsar et le Président de la République Française lors de leur rencontre à Paris. Je vous vois venir. Malheureusement l'histoire se passe au début du XXème siècle, pas au début du XXIème. S'ensuivra une formidable course poursuite totalement burlesque passant par le nord de la France et le jardin zoologique de Londres et qui montrera à Syme qu'il a pénétré l'antre d'une cruelle machination. Chesterton a voulu faire de Le Nommé Jeudi une allégorie biblique tirée de la Genèse (autre paradoxe pour des anarchistes), un encouragement pour ceux dont la foi est ébranlée. Au-delà des croyances et des sensibilités, il s'agit d'un récit ingénieux et agréable que tout un chacun se doit d'avoir lu, si ce n'est pour l'influence que Chesterton a eu sur pléthore d'auteurs de polar.
G.K. Chesterton – Le Nommé Jeudi : Un Cauchemar
(The Man who was Thursday : A Nightmare)
(disponible aux éditions L'Imaginaire)