BECK : The Information (chronique)
Beck est un explorateur. De ceux qui parcourent inlassablement des contrées lointaines et qui nous reviennent régulièrement avec de nouvelles surprises dans leur boîte à malices. L’Américain sait que la culture est enrichissante uniquement lorsqu’on la mélange et fort de ce principe, il nous a proposé des albums très variés, touchant à tous les styles musicaux imaginables : outre le folk, la country, le hip hop et le funk, il n’hésite pas à glisser des sonorités arabes, indiennes ou brésiliennes dans ses compositions. Il nous revient cette année avec l’un de ses producteurs fétiches, Nigel Godrich, qui l’a déjà accompagné sur Mutations (1998) et Sea Change (2002), deux de ses disques les plus délicats.
« One, two, you know what to do », scande (probablement) le batteur Joey Waronker en introduction de Elevator Music, le premier titre de The Information. Ce qu’on sait, c’est que l’on souhaite découvrir ce nouveau bijou de Beck qui fait la part belle aux rythmiques chaloupées. Guitares acoustiques cheap, beats entraînants et effets électroniques sont les ingrédients principaux de l'album, une approche diamétralement opposée aux anciennes collaborations entre le musicien et Godrich, qui a par ailleurs déjà parcouru cette année les territoires electro avec The Eraser de Thom Yorke. On saluera la délicate et touchante I think I’m in Love et son pont sublime, de même que l’excellente Cellphone’s dead, son intermède diabolo-tribal digne de Sympathy for the Devil (ROLLING STONES) et ses bip-bip de téléphone, un son récurrent sur The Information. Strange Apparition, la quatrième piste, contient une ligne de piano évoquant la patte de la bande à Mick « j’ai une grande bouche et j’assume » Jagger - décidément - et la deuxième partie, sans batterie, est de toute beauté. Après ce carré d’as, on se dit qu’on tient entre les oreilles le meilleur album sorti ces dix dernières années (depuis Odelay, en fait…). Et c’est là que le bât blesse, puisque des titres comme Soldier Jane ou Nausea baissent sensiblement le niveau. Non pas qu’ils soient inintéressants : les arrangements du producteur se révèlent d’une richesse appréciable – à la fois très méticuleux et conservant une saveur spontanée - et ils relèguent les anciennes compositions de l’Américain au stade d’ébauches. C’est juste que Beck – dont le ton est empreint de beaucoup de résignation tout au long de l’album – ne parvient pas à attirer notre attention à chaque occasion. Sa performance vocale est d’ailleurs nettement moins impressionnante que d’habitude, dans la mesure où il se laisse aller à une voix le plus souvent morose et déclamatoire, comme sur les harmonies mélancoliques de New Round ou sur Motorcade, qui n'est pas sans rappeler Kid A (RADIOHEAD). En même temps, c’est ce qui peut faire le charme de The Information.
Dans la deuxième partie de l’album, on appréciera la basse rampante de Jason Falkner et le solo d'harmonica sur Dark Star, le contraste de No Complaints où Beck joue les bardes sampleurs, mais aussi les bruitages made in Nintendo et la rythmique déglinguée de 1000 BPM (casseroles, cuillères, tout est bon pour les percussions). We dance alone et Movie Theme, par contre, ne laissent pas une impression inoubliable, mais la concison générale des chansons fait qu’ils se fondent de manière homogène avec le reste. Certains ont reproché à Beck de faire du prosélytisme avec The Information, ou du moins d’exprimer avec davantage d’emphase qu’à l’accoutumée ses convictions spirituelles. Expliquons-nous. Le musicien fait partie de l’Eglise de la Scientologie (personne n’est parfait), au même titre que de nombreuses célébrités parmi lesquelles on citera le vomitif Tom Cruise. Les quelques allusions en faveur de scenarii de fin du monde et de navettes spatiales (notamment sur le morceau-titre et sur le conclusif The Horrible Fanfare/Landslide/Exoskeleton – un modèle de déconstruction) peuvent confirmer ces dires, mais aussi les infirmer totalement, puisque les interprétations possibles sont, bien entendu, multiples. Dans tous les cas, on notera que Beck Hansen nous livre aujourd’hui une vision relativement pessimiste des choses et sa musique, même si elle se révèle plutôt entraînante de prime abord, est jonchée d’instrumentations semblant se désagréger sous nos tympans et de conclusions abruptes, comme pour expliciter le propos apocalyptique du chanteur.
Une autre discussion digne d’intérêt concerne l’avenir du support discographique. En effet, la proportion effarante que prennent les mp3 et autres fichiers informatiques dans l’industrie du disque annoncent la mort imminente du CD que certains ont déjà jeté aux oubliettes. Beck a pris le parti de nous proposer une couverture d’album pour ainsi dire vierge et de nous offrir une cinquantaine d’autocollants afin que chaque auditeur puisse créer sa pochette personnalisée. Conceptuel, l’ami! De plus, le DVD présent avec le CD nous permet de visionner un clip pour chacun des titres de ce nouveau LP (ambiances absurdes et psychédéliques au possible). Il semblerait que le but de cette campagne soit de faciliter le travail de certains internautes qui ont l’habitude de monter leur propre film pour agrémenter la musique de leurs groupes préférés et de le balancer sur Youtube.
On l’aura compris, Beck nous propose un album complexe, tant du point de vue strictement musical que de son interprétation. The Information est sans doute son travail le plus abouti, mais on peut considérer qu’il recèle quelques points négatifs, notamment sa longueur excessive (16 titres). Ainsi, ce qui présageait d’être le meilleur disque de la décennie ne sera que l’un des plus réussis de 2006. C’est déjà ça, me direz-vous. Mais c’est dommage, vous répondrai-je.
BECK – The Information (Interscope Recordings, 2006)
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