Mr. BUNGLE : Disco Volante (chronique, 1995)
Avant d’officier chez FAITH NO MORE, l’un des groupes de metal les plus influents des années 90, Mike Patton jouait déjà avec ses potes de Mr. BUNGLE. Sauf que ce combo de déjantés faisait davantage figure de curiosité locale avant la signature, en 1991, chez Warner Bros., possible grâce au succès de l’album The Real Thing de FAITH NO MORE, justement. On retrouve dans ce premier album éponyme un mélange réjouissant de funk, de metal et de jazz, explicité par des titres comme My Ass is on Fire ou The Girls of Porn. Patton en profite pour nous asséner ses lyrics démoniaques et dérangées, tandis que les musiciens nous livrent des compositions alambiquées et apparemment sans queue ni tête.
En 1995, Mr. BUNGLE revient avec une deuxième galette, le délirant Disco Volante, qui se place comme l’un des albums les plus hétéroclites jamais sortis, dans la veine d’un Absolutely Free de Frank Zappa ou des compositions de John Zorn, ami de longue date de Patton. L’album débute avec le destabilisant Everyone I went to High School with is dead et sa production digne d’une démo de seconde zone. Après le bien nommé Chemical Marriage, cocktail de basse jazzy et de claviers tantôt dansants, tantôt macabres, on a droit à un Carry Stress in the Jaw qui dépasse les limites de l’extravagance, grossièrement séparé en deux parties : dans la première, le groupe alterne entre une atmosphère tendue et des riffs de death metal sur fond de trompettes enflammées. Dans la seconde moitié, Patton nous la joue enroué – dans le style du Dr. Gonzo dans Las Vegas Parano – tandis que la guitare et le clavier de Trey Spruance le suivent à la trace. Comme disait Frank Zappa, « parler de musique, c’est comme danser sur de l’architecture ». Rien de plus vrai avec Mr. BUNGLE. Comment décrire en des termes simples et à la fois suffisamment évocateurs une musique aussi riche et délirante que celle-ci, sans tomber dans la futilité? Autant l’écouter directement…
Sur Desert Search for Techno Allah, la bande d’Eureka nous assène des beats inquiétants sur fond d’electro arabisante, alors que Patton déblatère des insanités dont il a le secret. Ce n’est pas le titre suivant, Violenza Domestica, qui risque de changer la donne. Curieuse fusion entre une bande originale de film noir et des accordéons napolitains, Patton nous expose une histoire terrifiante dans la langue de Dante, dont il lui reste d’ailleurs à maîtriser quelques notions de grammaire. Le chanteur nous montre un semblant d’émotion sur After School Special, cependant toujours empreint d’une épaisse couche de second degré, tandis que le virevoltant Phlegmatics et le pittoresque Ma Meeshka Mow Skwoz poursuivent les hostilités, à mi-chemin entre un générique des Looney Tunes, une musique de western et un film de Kusturica. Il semble pour le moins ardu de trouver ses marques en écoutant un disque aux influences aussi décousues mais cela en fait l’attrait principal de Disco Volante. N’hésitez cependant pas à presser sur le bouton STOP si vous avez l’impression que vos pieds se détachent du sol ou que vous êtes la réincarnation de Genghis Khan.
Après le morceau-fleuve The Bends, soit la sommation en dix minutes des couleurs variées qui ornent le blason de Mr. BUNGLE, on nous livre un Backstrokin’ plus léger, ainsi qu’un Platypus complètement siphonné : on a droit d’entrée de jeu à un riff saignant, mais bien vite, le groupe appuye sur le frein et nous assène la basse sinueuse de Trevor Dunn et des trompettes absurdes, tandis que Patton joue les crooners. Quelle claque! L’album se conclut avec l’ambiance guillerette de Merry Go Bye Bye qui se mue en death metal ultra-violent, avant de terminer sa course dans des contrées electro cacophoniques. Cette heure de musique fabuleuse nous aura fait défiler nombre de paysages au caractère à la fois palpitant, burlesque et angoissant. Difficile, une fois que l’on a découvert un tel groupe, de rester cantonné dans un seul style musical. On passe ici des BEACH BOYS à SLAYER, de Morricone à John Zorn, souvent au sein d’un seul et même titre. Et ce ne sont pas les albums suivants de Mike Patton, avec Mr. BUNGLE (qui abdique en 1999), FANTOMAS ou PEEPING TOM, qui risquent de nous contredire : ce monsieur aura cristallisé avec brio la musique de ces cinquante dernières années : jazz, rock, funk, hip hop... Une seule constante : cette envie de surprendre à chaque fois l’auditeur. Et le moins que l’on puisse, c’est que c’est réussi.
Mr. BUNGLE : Disco Volante (Warner Bros., 1995)
Ecoutez une parodie des Red Hot Chili Peppers par Mr. Bungle (on s'y croierait)... sorry pour la qualité