Mikhail Boulgakov : Le Maître et Marguerite (Ed. Pocket)

Publié le par Systool

Il arrive parfois qu’une discussion dans un parc public tourne mal. Ainsi, le révéré Berlioz, directeur d’une revue littéraire moscovite et Biezdomny, un collègue poète, discutent de la non-existence manifeste de Dieu, un agréable matin de printemps, lorsqu’ils font la rencontre d’un certain Woland, qu’ils prennent tout d’abord pour un touriste allemand. Celui-ci, alerté par la nature de leur discussion, intervient en prenant le parti inverse. Prétendu spécialiste en magie noire, il fait apparaître Ponce Pilate devant leurs yeux ébahis et ira même jusqu’à prédire la façon dont Berlioz va mourir : la tête coupée par une femme. Et quelques minutes plus tard, le malheureux glisse sur les pavés et périt décapité par un tramway, conduit par une femme, évidemment. Biezdomny, effaré par de tels événements, se retrouve dans un asile de fous dirigé par un éminent psychiatre, le Professeur Stravinski. Le Diable a débarqué en ville, tous aux abris!

 

Mikhail Boulgakov n’est pas exactement le genre d’auteur qui a pu profiter de sa notoriété de son vivant. Médecin évoluant à Kiev, sa ville natale, il sera muté à Moscou en 1916 avant d’abandonner sa digne profession (sic) et de se consacrer à l’écriture. En inconditionnel de Pouchkine et de Gogol, il laisse à la postérité une œuvre se résumant à quelques nouvelles, une dizaine de pièces de théâtre (dont Les Derniers Jours de Tourbine) et deux romans : La Garde Blanche – situé durant la guerre civile russe – et Le Maître et Marguerite, considéré désormais comme une référence de la littérature russe du XXème siècle. Il peut sembler ardu de classifier cet anomalie stylistique : il s’agit à la fois d’une satire de la société soviétique des années 30 et d’un conte historique - la trame principale étant entrecoupée des derniers heures de Jésus Christ, jugé par le procurateur romain Ponce Pilate. Le Maître et Marguerite se veut également récit fantastique, puisque l’on retrouve le Diable incarné par ce fameux Woland, accompagné de ses sbires : un sinistre individu aux manières pourtant affables nommé Koroviev, un gros chat noir qui joue aux échecs (Béhémot) ou encore Azazello, une espèce de gnome ignoble. De même, Boulgakov introduit un nombre incalculable de références aux mythes païens (sorcières, rites funèbres…). Mais qui est donc ce Maître ? Et Marguerite ? Le premier peut être considéré comme une sorte de double de Boulgakov, un écrivain éprouvant de grandes difficultés à faire publier son magnum opus, à savoir un roman sur Ponce Pilate, justement. Quant à Marguerite, il s’agit en réalité de sa femme délaissée qui sera tentée de rejoindre le clan de Satan. Dans l’intervalle, on suivra toute une flopée de personnages de l’intelligentsia moscovite qui vont croiser la route de Woland et subir ses plans machiavéliques : les options se limitent à la camisole de force (allez expliquer à un psychiatre que vous avez vu le diable) et au cercueil.

 


Le Maître et Marguerite, lithographie de J.-P. Humbert


Débutée en 1928, la rédaction du Maître et Marguerite se terminera en même temps que l’existence de Boulgakov, douze ans plus tard. Sa troisième épouse se chargera même d’apporter quelques finitions par la suite. Cette fable subtile à l’humour omniprésent et au caractère particulièrement burlesque, par ailleurs fortement inspirée du Faust de Goethe, oppose le prince des ténèbres à la société guindée et superficielle de la Russie stalinienne, le diable étant dépeint comme un personnage sympathique qui s’en prend à des individus corrompus et veules. De même, Boulgakov pose la question d’une morale inversée en décrivant en parallèle la mort du Christ, condamné alors qu’il est innocent du fait de la lâcheté de Ponce Pilate, émerveillé par cet individu empli de bonté mais qui préfère néanmoins privilégier sa carrière. Parue dans son édition intégrale (c’est-à-dire non censurée) en 1967, le roman sera rapidement considéré comme un objet culte. Nombreux sont ceux qui – en Russie ou ailleurs – se réclament de l’influence de Boulgakov : Salman Rushdie, dont les fameux Versets sataniques sont un hommage au Maître et Marguerite, mais également des représentants de la culture pop occidentale (le Sympathy for the Devil des ROLLING STONES, au hasard). Du point de vue des adaptations, je ne peux que vous conseiller la série télévisée signée Vladimir Bortko qui présente l’avantage d’être très fidèle au roman, ceci nécessitant du coup une exposition en 10 épisodes de 50 minutes chacun.

 

Mikhail Boulgakov – Le Maître et Marguerite

(disponible en français aux Editions Pocket)

 

 

Illustrations de Charlie Stone

 

http://www.charliestone.co.nz/images/illustrations/mm/1.jpg

 

http://www.charliestone.co.nz/images/illustrations/mm/7.jpg

 

WWW…

 

Un excellent site sur Le Maître et Marguerite

 
Un article de Marie

Publié dans Books

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S
<br /> <br /> Je te remercie!<br /> <br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Remarquable chronique sur un maître livre. (et merci Babelio)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bravo<br /> <br /> <br /> <br />
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S
Alors c'est à l'opposé du roman, c'est certain... l'oligarque russe est passé à côté de son sujet, j'imagine... :-)
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D
Coucou doc',Ben j'étais tombé sur un très court "reportage" dessus à la télé (genre TF1 ou M6)... Et sans avoir aucun désaccord de principe sur une idée de ce genre, ça m'a semblé de très mauvais goût ans le résultat. Les photos m'ont paru d'une laideur presque étonnante. Quelque chose d'assez vulgaire dans le chic toc (alors que je peux trouver le chic pas toc du tout, vraiment). Non, tout ça n'avait pas l'air de valoir ton billet ;-)
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S
"Une adaptation singuliere fut la réalisation d´un roman-photo , par Jean-Daniel Lorieux (2008), à partir d´une idée et du financement d´Evgueny Yakovlev. Isabelle Adjani incarne Marguerite pour ces photos." (Source Wiki)Superbe, D! Je l'ignorais complètement! Merci pour l'info... tu as vu le résultat?
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