Dr OCTAGON : Dr Octagonecologyst (chronique, 1996)
S'il est un album qui a ouvert la voie d'un hip hop alternatif au milieu des années 90, c'est bien Dr Octagonecologyst, baptême de « l'ère » de Kool Keith (Thornton) et Dan (Nakamura) The Automator. Cet album aura eu le mérite de diriger les projecteurs en direction de la scène dite left field du hip hop, qui comprend des formations telles que JURASSIC 5, ATMOSPHERE ou encore BLACK STAR, à savoir une musique qui fusionne des sonorités aussi variées que le rock, le funk et le jazz et qui évite de tomber dans les travers caricaturaux du rap. Kool Keith privilégie des textes décousus, recherchant davantage des sonorités intéressantes que des pamphlets à la portée philosophique, un peu à la manière de DoseOne (SUBTLE). On retrouve également cette tendance aux collages sur la pochette de l'album qui représente un portrait de ce fameux médecin. En effet, le concept de l'album se base sur Dr Octagon, un gynécologue libidineux et probablement extra-terrestre qui expérimente de nouvelles techniques opératoires sur ses patientes plus ou moins consentantes. Son coup de scalpel semble hésitant, de même que la validité de ses connaissances médicales. Cependant, en termes de bistouri textuel, Kool Keith n'a pas son pareil, puisqu'il enchaîne les rimes sans fléchir.
On peut apprécier l'humour potache du rappeur sur plusieurs skits, intermèdes poilants qui viennent s'immiscer entre ces classiques du hip hop : boulettes médicales (General Hospital), message de répondeur téléphonique (I got to tell you), usurpation (A Visit to the Gynecologyst)... Hormis ces break comiques, on retrouve surtout des classiques tels que 3000, Wild & Crazy ou encore Blue Flowers. La liste est longue et Dr Octagonecologyst a le mérite de tenir le cap du début à la fin, là où la plupart des albums du genre s'essoufflent à mi-parcours.
Du point de vue musical, on découvre les talents de Dan The Automator, producteur d'origine nippone qui n'aura de cesse, les années suivantes, de décliner ses ambiances inquiétantes mêlées à des effluves de funk dans des projets tels que DELTRON 3030, GORILLAZ ou encore LOVAGE. Son style si percutant représente sur Dr Octagonecologyst un amalgame de Bartok, Malcolm McLaren, Kool and the Gang ou encore Love et le producteur est particulièrement efficace sur Bear Witness, Real Raw (et ses changements de rythme) ou No Awareness. Le DJ Q-Bert, qui s'est distingué comme l'un des parkinsoniens de la platine les plus valides du début des nineties, vient également prêter main forte aux scratches. Citons encore DJ SHADOW, qui fait une apparition sur Waiting List.
Difficile pour Kool Keith de surpasser ce monument du hip hop et il est clair que l'on comparera systématiquement sa production future à ce fameux Dr Octagonecologyst. En dehors d'une collection d'instrus tirées de l'album dont on parle aujourd'hui (The Instrumentalysts), Double K a tâché de poursuivre son travail de sape sans The Automator mais s'est parfois heurté à l'incompréhension d'un public qui montre assez rapidement ses limites en matière de fusion et de second degré. Il n'en demeure pas moins que ce gynécologue de l'octagone devrait trouver une place de choix dans votre, il va sans dire, excellente collection de disques (quoi, vous n'avez que des mp3???).
Dr OCTAGON – Dr Octagonecologyst (1996, Dreamworks/MCA)