THE MARS VOLTA : De-loused in the Comatorium (2003, chronique)
Après le schisme des AT THE DRIVE-IN, l'une des plus belles réussites de la fin du siècle en termes de punk rock énergique et cérébral, qui imaginait que ses membres puissent former deux groupes aussi créatifs que SPARTA et THE MARS VOLTA? La résultante de cette mitose musicale a de quoi laisser pantois : d'un côté, la formation de Jim Ward, évoluant dans un rock aux frontières du metal et du hardcore, tandis que Cedric Bixler Zavala et Omar Rodriguez-Lopez nous cueillent par surprise lorsqu'ils sortent le premier témoignage des MARS VOLTA (après le Tremulant EP), le sinueux De-loused in the Comatorium. Quelques clarifications sémantiques s'imposent avant de se lancer dans une analyse de leur musique : le nom du groupe, tout d'abord, serait un clin d'oeil au réalisateur italien Federico Fellini et au Dieu grec de la guerre, patronyme qu'on peut interpréter comme le fait de se détourner d'un conflit. L'album, quant à lui, est un hommage au musicien et ami Julio Venegas, et sa trame scénaristique en reprend la biographie : un individu (nommé Cerpin Taxt) tombé dans un long coma après une overdose de morphine et qui, une fois réveillé et libéré de ses visions, se suicide.
Considérer les textes des MARS VOLTA comme obscurs et abscons se révèle une réaction plus qu'humaine. Le hic étant que la musique l'est tout autant ; s'octroyant les services d'une section rythmique a priori improbable et formée du bassiste des RED HOT CHILI PEPPERS, Flea, et du batteur Jon Theodore, le binôme Bixler/Rodriguez s'assure une puissance de feu ainsi qu'un sens du groove certain. Ajoutons à cela les manipulations soniques du défunt Jeremy Michael Ward qui viennent conclure la plupart des chansons, ainsi que le clavier vintage de Ikey Isaiah Owens et vous obtenez l'équation ultime d'un rock qui emprunte autant aux structures prog de KING CRIMSON qu'aux missiles guitaristiques de LED ZEPPELIN, sans oublier ses saveurs psychédéliques et jazz. Ce revirement (volta) musical a fait du groupe l'un des piliers du rock moderne en matière d'expérimentations qui préfère mettre en pratique trente idées par chansons que trois par albums comme certains...
Le public et la presse ne se sont pas trompés en encensant De-loused in the Comatorium dès sa sortie : après l'introductive Son et Lumière, onirique au possible, on est propulsé dans une marée de décibels, ne sachant littéralement pas où donner de la tête : la guitare de Rodriguez-Lopez fait des merveilles, entre riffs saignants et licks hallucinés, tandis que la voix haut perchée de Bixler nous donne le tourni. Que penser des montées de claviers jouissives et du rythme casse-cou imprimé durant la tonitruante Inertiatic ESP ? On peut se dire que comme souvent, le groupe a tiré toutes ses cartouches en cinq minutes et que les prochains morceaux n'apporteront rien de plus, les musiciens se limitant à reformuler à l'infini les mêmes structures acid rock. Que nenni! Roulette dares (the haunt of) vient nous contredire immédiatement et se place comme l'un des meilleurs titres de l'album. La guitare décolle telle une fusée vers des constellations zeppeliniennes, le chant urgent de Bixler nous rappelle les années AT THE DRIVE-IN, alors que les changements de rythme incessants créent une atmosphère déroutante.
Oh! Un oeuf Kinder doré!
Chacun des dix titres de De-loused in the Comatorium tire son épingle du jeu, tantôt grâce à ses tonalités jazzy, comme sur le fabuleux Drunkship of Lanterns, tantôt par ses ambiances acoustiques, dont on peut bénéficier sur la brève Tira me a las Aranas ou encore la douloureuse Televators. Hormis This Apparatus must be unearthed manquant peut-être d'une certaine fraicheur, difficile de trouver des défauts à cet album qui présente des passages confinant souvent au sublime (l'intermède de Eriatarka ou celui de Take the Veil Cerpin Taxt, entre autres). Le groupe se plaît également à distiller des rythmiques sud-américaines au beau milieu de ce fouillis rock organisé par le producteur émérite Rick Rubin, collaborateur fidèle de SLAYER, SYSTEM OF A DOWN ou encore des RED HOT CHILI PEPPERS. On notera d'ailleurs la présence de John Frusciante, guitariste des Californiens, sur l'exténuante Cicatriz ESP. Le duo magique formé par Bixler et Rodriguez demeure cependant la clé de voûte de cet édifice vertigineux : le premier, dont la voix évoque parfois celle de Matthew Bellamy (en moins énervant) ou même Dolores O'Riordan des CRANBERRIES (sic), nous livre une prestation ahurissante de versatilité et d'émotion, comme il est possible de l'entendre durant l'intermède déchirant de Drunkship of Lanterns ou la conclusive Take the Veil Cerpin Taxt. Le guitariste, quant à lui, compose une musique en constant équilibre entre les standards du rock des années 70 (Hendrix, Santana, Pink Floyd) et un post-hardcore descendant direct de RAGE AGAINST THE MACHINE et SYSTEM OF A DOWN, le tout en moins prévisible. THE MARS VOLTA a obtenu un accueil triomphal si l'on considère que De-loused in the Comatorium, dont la musique est aussi touffue que la chevelure de ses créateurs, s'est vendu à plus de 500'000 exemplaires, alors qu'aucune publicité n'a été faite. Il s'avère tout aussi étonnant de constater que ces musiciens habités ont décidé de proposer quelque chose de passablement différent avec leurs sorties successives, Frances the Mute (2005) et Amputechture (2006), alors qu'ils auraient pu tranquillement nous ressortir trois albums semblables à De-loused (après tout, les autres groupes font bien ça). Ce que THE MARS VOLTA a éventuellement perdu en qualité, il l'a indéniablement gagné en intégrité et en audace, des denrées désormais si rares dans ce milieu.
RESPECT THE ARCHITECT!!!
THE MARS VOLTA – De-loused in the Comatorium (2003, Universal Records)
WWW...
le site officiel de THE MARS VOLTA et leur Myspace
téléchargez le pdf qui retrace l'histoire de De-loused in the Comatorium et son personnage Cerpin Taxt, inspiré de Julio Venegas
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Regardez une vidéo live de « Roulette dares (the haunt of) »