MADLIB : Shades of Blue (chronique, 2003)
Si la plupart des albums estampillés MADLIB s'écoutent idéalement dans une cave brumeuse, Shades of Blue tournera plutôt lors d'un verre entre amis, ou en voiture. Musique d'ambiance? Oui, un peu, mais sans que cela s'avère forcément péjoratif. Le faiseur de sons, grand amateur de jazz, a dû sentir ses doigts (voire autre chose) frétiller à l'idée de pouvoir sampler ses albums préférés du label Blue Note. La maison de disque légendaire fondée par Alfred Lion, Francis Wolff et Max Margulis a vu passer les plus fameux musiciens de la... note bleue, tels que Art Blakey, Wayne Shorter, Horace Silver ou encore McCoy Tyner, Freddie Hubbard et Dexter Gordon. Une véritable mine d'or dans laquelle Otis Jackson Jr alias MADLIB peut piocher allègrement afin de nous fournir l'album ultime de « jazz hop ». Après une brève introduction dont le Beat Konducta est coutumier – on retrouvera régulièrement ces petits apartés qui font le sel des albums de hip hop - on attaque avec ce qui s'avère sans doute le titre le plus percutant : Slim's Return, magnifique enchaînement de motifs jazzistiques sur un beat mortel, le tout agrémenté de scratches à la qualité éprouvée. Le hic étant que Shades of Blue aura de la peine à se hisser à de tels niveaux par la suite ; certes, on ne peut pas nier la maîtrise du garçon sur une piste telle que Stormy qui encapsule de jolis solos de Fender Rhodes et de flute et qui représente d'ailleurs une ré-interprétation de l'originale (signée Reuben Wilson) plutôt qu'un bête sampling. Citons également Please set me at ease, le seul titre qui contient quelques lignes de rap, délivrées gracieusement par l'ami Medaphoar, un habitué des sessions madlibiennes, qui doit passer plus de temps dans le studio Bomb Shelter de son comparse que chez lui.
Sur Funky Blue Note, le producteur s'essaie à un exercice périlleux, à savoir la composition, sans se couvrir de ridicule. L'accessibilité relative de Shades of Blue menace de s'écrouler sur Stepping into Tomorrow qui associe un piano nerveux à un chant féminin aigu et des nappes de clavier datées. Les dernières pistes reprennent des classiques tels que Footprints (Shorter) et Song for my Father (Silver), Madlib squattant même le tabouret de batteur. Comme cela était mentionné plus tôt, le Californien n'évite pas quelques faux pas, à l'image de Distant Land ou Peace/Dolphin Dance qui font office d'excellents sédatifs. Le substrat était pourtant délicieux, mais c'est bien le traitement qui pèche, en l'occurrence : il paraît un peu léger (paresseux, diront certains) de proposer durant quatre minutes un beat et quelques notes de claviers qui se courent après.
Shades of Blue demeure un joli condensé de samples jazz cuisinés à la façon West Coast, et ce projet est l'un des plus accessibles et fluides du Crate Digga, idéal pour s'immiscer dans sa discographie broussailleuse. Cependant, au vu des forces en jeu, on peut s'estimer quelque peu déçu par le résultat, que l'on qualifiera de plus qu'honorable, malgré tout.
MADLIB – Shades of Blue (Blue Note Recordings, 2003)