M. Aguéev - Roman avec Cocaïne (Ed. Points)

Publié le par Systool

On sait finalement peu de choses de Maurice Aguéev, auteur russe qui laisse à la postérité son Roman avec Cocaïne, envoyé à la revue littéraire (et non mathématique) Nombres, au début des années 30. Davantage récit intelligent que bêtement provoquant, ce texte que l'on avait tout d'abord attribué à Nabokov et situé en 1916 nous dépeint l'histoire d'un certain Vadim Masslenikov, jeune moscovite « cruel, volage et veule », comme cela est si bien explicité sur le quatrième de couverture de l'édition poche (chez 10/18). Scindé grossièrement en trois parties, Roman avec Cocaïne débute durant les années de lycée de Vadim, un individu observateur et solitaire, qui nous décrit certains de ses camarades, à savoir Stein et Eisenberg, deux élèves juifs particulièrement brillants, et Bourkewitz, livrant d'abord une copie plutôt modeste, mais qui à la suite d'un épisode qui le couvrira de ridicule devant sa classe, se mure dans une solitude opiniâtre et se profile comme un rival des deux autres. La plume d'Aguéev est nerveuse, les tournures alambiquées, et de Vadim, peu d'éléments demeurent, si ce n'est son dégoût envers sa mère (et l'humanité en général) et ses escapades sexuelles où il transmet lâchement une mystérieuse maladie vénérienne (la syphilis?) aux femmes qu'il rencontre. Sa rencontre avec Sonia, formant l'essentiel de la seconde partie, fera naître en lui un Amour passionné et fruit de toutes les contradictions (amour contre désir). Cette notion de symétrie, que l'on retrouve également dans le troisième chapitre dédié à la cocaïne, représente l'un des éléments fondamentaux du roman, qui ne laisse par ailleurs aucune place aux événements historiques importants qui ont lieu à cette époque.


Mais de toutes ces nombreuses dissociations, celle qui se dessinait le plus nettement et se faisait sentir de la façon la plus aiguë était mon écartèlement entre l'esprit et la chair.


Amant éconduit, Vadim plongera tête baissée dans la poudreuse, découvrant un paradis artificiel qui l'espace d'une nuit lui procurera des sensations insoupçonnées. Une joie incommensurable, un esprit d'analyse décuplé et ce désir de vivre chaque instant comme s'il était le dernier. Bien vite, les vapeurs célestes de la cocaïne se transformeront en massives chaînes qui emprisonnent Vadim, et sa béatitude se muera en cauchemar de la dépendance. Plus seul que jamais, il aura tout loisir de repasser dans son esprit les figures marquantes de sa vie, immortalisées dans un rêve terrible où il revoit Sonia ainsi que sa mère, tuée devant les yeux et le rire moqueur de Vadim.

 

Kandinsky - Moscou


La vision résolument moderne d'Aguéev (le rôle des femmes dans la société et la discussion sur l'antisémitisme, notamment) et son esprit d'analyse contrasté représentent certainement des caractéristiques ayant permis d'ériger le roman de cet anonyme parmi les grands classiques du XXème siècle, ce d'autant plus qu'il est difficile de placer l'auteur dans la grande famille des écrivains russes, certains préférant citer Proust, eu égard à la sensibilité manifeste, à la description de l'instant que Aguéev propose avec un talent et une noirceur uniques.


M. Aguéev – Roman avec Cocaïne

(Editions 10/18)

Publié dans Books

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :