MADVILLAIN : Madvillainy (chronique, 2004)
Avec son masque doré, MF DOOM a tout du vilain rappeur qui a trop lu de comics dans son enfance. Son nom de scène n'est autre qu'un hommage appuyé au Dr Doom (alias Dr Fatalis), gros méchant des 4 Fantastiques interprété par l'inénarrable Julian McMahon pour ce qui est de la version cinéma. Cet univers sied à merveille au beat-maker MADLIB qui collabore avec le lyriciste sur MADVILLAIN, dont le premier et unique album à ce jour (si l'on excepte les remix de 2008) demeure un classique du hip hop left-field. Il faut dire que le producteur n'est jamais aussi bon que lorsqu'il préconise de courtes vignettes musicales, plutôt que de vraies chansons avec des couplets et un refrain. Il s'agit du terrain de jeu idéal pour les rimes de MF DOOM, un rappeur quelque peu perturbé (et perturbant), porté sur la bibine et dont le style est très imagé. Ce dernier aime particulièrement jouer avec les sonorités des mots – au détriment d'une réelle signification, parfois, un peu à l'image de DEL THA FUNKY HOMOSAPIEN. Et comme il s'avère tout aussi difficile de trouver une réelle logique dans la musique de MADLIB, disons que nous disposons des prémices idéales pour un album de défoncés. Le producteur passe de Zappa à Bill Evans, fait chevaucher Diana Ross avec du vieux rock progressif et copuler Sun Ra avec des standards du cinéma qui donnent cette touche oldie. C'est bien simple : rarement le Beat Konducta aura été aussi efficace. Il parvient à insuffler des sonorités novatrices et fraiches, sans pour autant s'enfermer dans des délires abscons. Ses instrumentales sont de toute beauté, entre la guitare rythmée de Sickfit et Supervillain Theme qui introduit des accords mineurs inédits pour l'univers hip hop. Les titres en compagnie de DOOM valent leur pesant de cacahuètes : l'ambiance crépusculaire de Meat Grinder, l'entraînante Raid et les percussions caribéennes de Curls... tout est là pour nous plonger au plus profond de la psyché de Madvillain, le méchant ultime.
Bien entendu, on aurait difficilement pu éviter des titres faisant l'apologie de la fumette comme America's Most Blunted, véritable fatras musical qui voit la présence de Madlib et son alter ego maniaque Quasimoto au micro. On retrouve d'ailleurs la terreur des rues sur Shadows of Tomorrow qui met en lumière la philosophie « Sun Ra »sur le passé, le présent et l'avenir (les trois sont vaguement imbriqués, dans son esprit enfumé). Il serait cependant dommage de ne pas citer également MC WILDCHILD, ancienne gloire de LOOTPACK qui livre une copie sans faute sur Hardcore Hustle. Loin de faire dans le remplissage, la dernière partie de Madvillainy comporte des pièces d'importance comme la superbe Strange Ways piquée à Gentle Giant, formation de rock progressif aux oubliettes que MADLIB a judicieusement ressuscité pour l'occasion. Que dire de All Caps et son piano tectonique qui laisse la place à des flutes pétillantes, ou encore Great Day Today dont le tapis de claviers accompagne un MF DOOM d'abord éberlué mais qui enchaîne ensuite les rimes comme un damné.
As luck would have it, one of America's two most powerful villains of the next decade is turned loose to strike terror into the hearts of men
, nous dit le commentateur qui introduit la galette dans cette ambiance typique des années 50. Ces terroristes musicaux n'ont aucune éthique, aucune « phonéthique », même. Et c'est bien ce qu'il nous fallait pour apprécier encore et encore cet album à la phantasmagorie débridée.
RESPECT THE ARCHITECT!!!
MADVILLAIN – Madvillainy (Stones Throw Records, 2004)