John Fante : La Route de Los Angeles (Ed. Bourgeois)
Publié en 1982, quelques années avant sa mort, La Route de Los Angeles avait été écrit en 1933 par un John Fante encore passablement jeune. Il s'agit du premier roman de l'Américain d'origine italienne, devenu depuis un auteur culte de la première moitié du XXème siècle et influence majeure de Charles Bukowski. Ce fils d'émigrés, élevé dans une famille catholique, a longtemps souffert de sa condition de rital, complexe d'infériorité qu'il combla par la lecture et une curiosité à toute épreuve. Dans La Route de Los Angeles, premier volet de la saga d'Arturo Bandini, on y suit son alter ego se démenant pour décrocher un job, qu'il conserve quelques heures avant de se faire virer lamentablement, en général parce qu'il passe son temps aux toilettes pour lire ou parce qu'il entre dans des discussions incessantes avec le patron qui a d'autres chats à fouetter. Car Arturo Bandini est insupportable. Un peu à la manière d'Ignatius Reilly, le personnage inoubliable de John Kennedy Toole (qui a dû certainement s'en inspirer), Bandini est présomptueux, cultivé et adepte de théories fumeuses. La différence réside dans le fait qu'Arturo Bandini est nettement plus agaçant que le don Quichotte de Louisiane : il s'agit d'un individu veule, recherchant constamment l'attention et faisant preuve d'une mauvaise foi inouïe. Il possède également un sérieux trouble de la personnalité et est victime d'une humeur particulièrement changeante. En effet, il n'est pas rare de l'entendre porter aux nues un futur employeur en fonction de son aspect, pour le voir vociférer quelques pages plus loin les pires insultes, lorsque ce dernier le renvoie sans sommation.
La Route de Los Angeles, c'est aussi l'occasion pour le lecteur de découvrir Maria Bandini, sa mère dévouée, ainsi que Mona, sa soeur se destinant à la soutane, ce que Bandini, en fier adorateur de Nietzsche et Schopenhauer, ne manquera pas de désapprouver en la traitant de « grenouille de bénitier » et « punaise de sacristie » dans l'une de ses illustres tirades. Rapportant quelques sous par son activité dans une conserverie de maquereaux obtenue grâce à son oncle, Arturo connaîtra la difficulté de ce genre de travail qu'il prend par dessus la jambe, ainsi que la condition de ses collègues mexicains et philippins. Mais au fond, le véritable rêve de Bandini, c'est de devenir écrivain et après quelques essais ratés – notamment l'hilarante histoire du playboy qui a une femme dans chaque pays – on l'imagine écrire le texte que l'on a justement sous les yeux. Cyclothymique, excessif, vaniteux, Bandini (et Fante?) n'en demeure pas moins un personnage attachant, qui par ses obsessions confinant au fétichisme, notamment envers les femmes, résume les troubles d'un enfant déraciné à l'esprit vif et qui étouffe dans ce carcan familial trop strict. John Fante connaîtra de nombreux succès dans sa vie, notamment en rédigeant des scénarios pour Hollywood, mais cette route qui le conduit à Los Angeles est sans conteste une introduction idéale pour découvrir sa personnalité instable, avant les paroles plus posées et matures de Bandini (Wait until Spring, Bandini) et Demande à la Poussière (Ask the Dust), parus quelques années plus tard. (C) Systool, 12/2009
John Fante – La Route de Los Angeles
paru en français aux éditions C. Bourgeois