JAYLIB : Champion Sound (chronique, 2003)
La collaboration entre le défunt J Dilla et le protoplasmique Madlib avait quelque chose de magique pour les amateurs d'un hip hop disjoncté. Champion Sound en est la preuve vivante, concrétisée par l'envoi compulsif de matériel entre Detroit et Los Angeles, refuges des deux producteurs, sans que ceux-ci se rencontrent effectivement. Ces derniers se sont alternés au micro et derrière les platines pour les 19 titres qui composent cet opus. Au-delà du respect mutuel de ces hérauts du hip hop actuel, on ne peut pas vraiment estimer qu'ils ont la même approche : Jay affectionne des samples soul policés, tandis que Lib est davantage versé dans les expérimentations underground sans queue ni tête. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce sont par ailleurs des MC peu orthodoxes : avec ses joues de rongeur, Dilla baragouine des inepties sur un flow assez neutre, alors que Madlib est connu pour son balbutiement erratique et l'apparition de son alter ego Quasimoto à la voix chargée d'hélium. Ainsi, Champion Sound peut soulever en pratique quelques interrogations sur sa viabilité. Et pourtant, nos compères ont su concilier leur vision complémentaire en proposant une galette qui tient la route tout en conservant cet esprit foutraque, sans doute facilité par l'inhalation massive de marijuana.
Après une intro dont la seconde partie n'aurait pas dépareillé chez FANTOMAS, on attaque avec le sample galopant de McNasty Filth qui voit la présence de Frank N Dank comme invités. Les productions de J Dilla semblent nettement plus inspirées, dans un premier temps, si l'on s'en réfère à un Nowadayz sous hypnose et surtout l'imparable The Red, sa rythmique carrée, le piano mutin et les voix féminines, du moins dans sa version 1.0. L'originale sample en effet un tube de Cris Williamson, mais ne figurait pas dans la première version de Champion Sound pour des questions de copyright... Il faut également citer les trips qui concluent certaines pistes et qui donnent une dimension très improvisée à l'ensemble : gargouillis, futurisme eighties et autres piaillements enturbannés.
Son pote Madlib semble bridé par l'enjeu d'une telle collaboration : il propose des instrumentations se reposant essentiellement sur un duo basse/batterie et met quelque peu de côté ses (dés)orientations bizarroïdes habituelles. Néanmoins, le beat ultime de Champion Sound est à ranger dans les grandes réussites de ces dernières années. On amorce alors un passage moins mémorable avec les hululements de Heavy et le featuring de Talib Kweli qui cabotine sur Raw Shit. Et comme par enchantement, c'est MADLIB qui reprend le flambeau, tout d'abord avec le sample cuivré de The Official et la lancinante The Mission, mais également avec le flow tordu qui caractérise React. Il est temps de faire appel à quelques frappes lyricales comme GUILTY SIMPSON qui s'ébat sur une atmosphère moyen-orientale (Strapped) ou PERCEE P sur une Exclusive à la rythmique enlevée.
Mais l'hydre à deux têtes JAYLIB n'a pas dit son dernier mot, comme on peut le constater en jetant une oreille à la cornemuse de Survival Test – et le délire « Marijuana Helper » sous forme d'un message promotionnel radio. J DILLA nous sert encore une louche de samples soul pitchés avec l'excellente Starz sur laquelle MADLIB s'ébroue comme un sharpei. Il est à noter que Stones Throw Records a fait paraître une version double avec un disque instru en 2007, l'année suivant le décès de J DILLA. Une façon de redécouvrir cet album en marge, qui n'a certes pas exaucé les attentes d'une telle alliance, mais demeure une excellente carte de visite pour aborder l'univers de ces deux producteurs de génie. (C) Systool, 8/2010
JAYLIB : Champion Sound (2003, PIAS Records)