Bret Easton Ellis : Suite(s) Impériale(s) / Imperial Bedrooms
Pas facile d'être Bret Easton Ellis. Propulsé dans le stardom littéraire à 21 ans grâce à un roman coup de poing sur la jeunesse friquée et camée (Moins que Zéro), puis, quelques années plus tard, destiné à entrer avec fracas au panthéon des grands écrivains américains avec le torturé American Psycho. Pour celui que l'on abrège souvent par un BEE à la connotation abeillée, la difficulté majeure sera désormais de parvenir à s'extirper de cet univers de bellâtres fréquentant des bimbos, un peu comme son ami Jay McInerney, cantonné longtemps dans ce même rôle suite à la parution de Bright Light, Big City en 1984. Ce dernier a enfin réussi à modifier son image en amorçant un virage littéraire empruntant davantage à Carver qu'à l'étriqué triumvirat « Brat Pack » dans lequel on l'a rangé.
Pour BEE, on peut considérer que l'écriture de Lunar Park a changé la donne : après l'énième variation sur le thème « beau, riche et coké » de Glamorama, il brosse un portrait plus humain, plus vulnérable de sa propre condition d'écrivain, tout en exorcisant son passé réel (il dépeint un père cruel et insatisfait) et fictionnel (le yuppie-killer Patrick Bateman d'American Psycho revient le harceler). Cinq ans plus tard, Suite(s) Impériale(s) se veut l'after de la surboum qu'était Moins que zéro. Clay, le personnage principal, a 25 balais de plus, et jouit d'un statut enviable, puisqu'il est un scénariste en vogue virevoltant entre New York et Hollywood. Ses amis Blair et Julian sont toujours de la partie, mais quelque chose s'est brisé depuis leurs aventures de 1985. A l'occasion d'un casting pour sa prochaine production intitulée Les Auditeurs, Clay flashe sur une certaine Rain Turner, blondasse mi-actrice ratée mi-escort girl qu'il ne tarde pas à jeter dans son lit en lui faisant miroiter l'éventualité d'un rôle important dans le dit film. Mais l'apparition de SMS menaçants et d'une voiture garée devant sa luxueuse suite représentent le début des ennuis pour notre cher Clay. Quel est le véritable rôle de Rain et des gens qui gravitent autour de lui? S'agit-il d'une menace réelle ou les symptômes d'une paranoia amplifiée par l'alcool et diverses substances dont notre ami est toujours coutumier?
Il n'est pas innocent de retrouver Elvis Costello et Raymond Chandler en épigraphe de Suite(s) Impériale(s) : le premier représente la bande-son de Moins que Zéro, une façon d'assumer qu'il s'agit d'un retour au passé, tandis que Chandler doit sans doute exprimer l'aspect « polar » que Bret Easton Ellis a voulu insuffler dans ce roman, là où Lunar Park abordait une facette SF proche d'un Stephen King. Les premières pages se révèlent une série de clichés que l'auteur nous a rabâché dès ses premières oeuvres : peu ou prou a changé pour Clay, il s'agit d'un personnage froid et égocentrique qui malgré le poids des années, se complait toujours dans son univers superficiel, à cela près qu'il a désormais un iPhone. Puis les événements prennent effectivement une tournure plus sombre et les différentes pièces du puzzle se mettent en place jusqu'à ce que l'on découvre le pot aux roses. La succession d'SMS dignes d'un mauvais film noir de série B, les dialogues souvent pénibles et peu informatifs provoquent bien vite un certain agacement, à peine contenu par la brièveté du roman. Celui-ci dérape par ailleurs sur une scène SM aussi crue qu'inutile, histoire de nous rappeler les anciens démons d'American Psycho, avant une conclusion qui résume les 25 ans de littérature de Bret Easton Ellis :
Je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens
Il est dommage de constater que cette fois-ci, la sauce ne prend pas. Après Lunar Park, qui se plaçait comme une métaphore maîtrisée des craintes les plus profondes d'un écrivain à succès se questionnant sur son futur, on a le sentiment d'assister au remake moisi d'un film culte, un peu comme les navets que Clay produit, justement. On a l'impression que le personnage et l'auteur se superposent, éreintés par vingt-cinq ans de mensonges, d'excès et de vanité, contemplant un morne paysage californien depuis leur chambre d'hôtel, dans leur peignoir immaculé, se demandant quand cela finira, tout en ignorant s'il s'agirait d'une bonne chose ou pas.
BRET EASTON ELLIS – Suite(s) Impériale(s) / Imperial Bedrooms
Paru en VF (version brochée) chez Robert Laffont - Pavillons