David Bowie : Fashion to Fashion (biographie)
Il est incontestable que David Bowie ait grandement marqué les années 70 de sa musique et de sa personne. Bénéficiant d’un talent rare pour cerner les tendances du moment et les reformuler dans son langage corporel si particulier, il a été très influent sur la scène pop-rock des années 80 et a également relancé des artistes en perte de vitesse comme Iggy Pop ou Lou Reed.
Né David Jones le 8 janvier 1947 à Brixton, Angleterre, il mène une enfance sans histoire au sein d’une famille relativement modeste. Il apprend cependant à jouer du saxophone à l’âge de 13 ans et après une tentative infructueuse dans une société de design, il décide de se lancer corps et âme dans la musique. Adoptant le pseudonyme de David Bowie pour se différencier du Monkee David Jones, il débute dans le milieu mod anglais. Mais ce courant qui aura vu naître les Who et les Small Faces est déjà en perte de vitesse et il s’agit de trouver autre chose pour percer.
L’avènement du mouvement hippie va permettre à Bowie, grandement aidé par sa future femme Angela Barnett ainsi que par le mime Lindsay Kemp, de développer une personnalité unique. Sa sulfureuse compagne va l’inciter à mettre en évidence son côté androgyne – Bowie ne cache pas son homosexualité – et lui donner, semble-t-il, beaucoup de confiance.
Après des essais peu fructueux – un album éponyme (1967) moyen – ainsi que Space Oddity, qui contient déjà les prémices d'un grand talent, Bowie va littéralement exploser avec The Man who sold the World. On retrouve sur cet album Mick Ronson, le grand et méconnu guitariste qui va l’accompagner plusieurs années durant, de même que le producteur Tony Visconti. La musique en soi n’est pas révolutionnaire, mais l’approche vocale de David Bowie et les ambiances pesantes en font une excellente carte de visite pour l’Anglais aux dents longues. The Width of a Circle – pièce ambitieuse de 8 minutes – ou encore le morceau-titre (que Kurt Cobain reprendra plus de vingt ans plus tard) font partie des meilleurs moments de ce LP.
Sur sa lancée, Bowie sort en 1971 un autre chef-d’œuvre, Hunky Dory. Exit les guitares heavy et place à une pop acidulée menée par le piano de Rick Wakeman et surtout la voix unique de Bowie. Les classiques y foisonnent : Changes qui met en valeur sa voix féminine et sa capacité à créer de véritables tubes, mais aussi le bizarre Life on Mars ? ou encore le rock sombre de Andy Warhol, hommage à l’artiste qui l’aura introduit dans le milieu glamour new-yorkais. Ambiguité sexuelle, trips galactiques…difficile de se placer dans ces thématiques assez novatrices pour l’époque même si l’ami Bowie nous gratifie également de textes à la limite du ridicule (il suffit de jeter un œil à Song for Bob Dylan)… A la même période paraît un classique du glam-rock, Electric Warrior des géniaux T-REX, mené par Marc Bolan qui se révèlera une influence majeure, à la fois ami et concurrent de Bowie.
Quelques mois plus tard un nouvel album voit le jour, probablement le plus célèbre et l’un des plus intéressants musicalement, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars. Cet album au concept fumeux – l’épopée d’un extraterrestre et de son groupe arrivant sur Terre et devenant des icônes du rock – brille cependant par la qualité de ses titres, tous plus inspirés les uns que les autres : Five Years, Moonage Daydream et le solo aérien de Ronson, Starman, Ziggy Stardust et Suffragette City. Autant de chansons qui définiront les bases du punk-rock et de la new-wave. On est par ailleurs ébahi par l’aptitude de Bowie à endosser différents costumes, chose qu’il fera dorénavant pour presque chaque album (et qui laissera chez certains des doutes quant à la santé mentale de Bowie, souvent taxé de schizophrène paranoïaque et de gamin). Il est vrai que les pochettes nous montrent un individu très androgyne, aux allures bizarres ou futuristes. Ce jeune homme aux yeux vairons et au regard énigmatique (une de ses pupilles est restée dilatée après une bagarre durant son adolescence) devient alors une véritable superstar.
Mais il a la brillante idée de ne pas s’arrêter en si bon chemin ; son album suivant, Aladdin Sane, est à peine inférieur à son prédécesseur et recèle quelques excellents titres comme Watch that Man ou Panic in Detroit. Moins futuriste que Ziggy Stardust, il n’en demeure pas moins bizarre et inclue des touches de jazz pas déplaisantes.
Malheureusement, le premier passage à vide de David Bowie a lieu et les années suivantes seront dures : Pin-Ups, album composé de reprises des Pink Floyd (période Syd Barrett avec See Emily play), des Who (I can’t explain et Anyway, anyhow, anywhere) et d’autres est peu satisfaisant même si son intérêt – découvrir certaines de ses sources d’inspiration – n’est pas négligeable. L’album suivant, le passable Diamond Dogs, continue d’amorcer petit à petit la rupture de Bowie avec le glam-rock qu’il a créé et qui l’a rendu célèbre. S’étant débarrassé de ses Spiders, Bowie va composer cet album seul, s’inspirant, pour ce qui est du concept, du monde totalitaire du 1984 de George Orwell. Mais son histoire est trop faible et les quelques bons titres qui parsèment Diamond Dogs (Rebel Rebel, Sweet Things) ne suffisent pas.
Le brusque changement de direction vers une « plastic soul », amorcé durant la tournée de 1974 n’aura de cesse de surprendre les fans, mais Young Americans, l’album suivant, est à considérer comme une manière originale de se renouveler. Le bon (Young Americans, Somebody up there likes me) cotoie le moins bon (la reprise de Across the Universe des BEATLES en compagnie d’un Lennon fatigué ou encore le hit Fame) mais le LP suivant, Station to Station, remettra véritablement les pendules à l’heure.
Reprenant les mêmes bases soul que Young Americans, il est mené par la voix de crooner froid de Bowie, en proie à des délires paranoïaques de plus en plus pressants (sa consommation importante de cocaïne depuis plusieurs années n’est un secret pour personne). Les six titres qui composent Station to Station sont en tous points excellents et la diversité des styles employés (disco, pop d’avant-garde) en font l’un des plus grands exploits de l’Anglais.
Fatigué de vivre à Los Angeles, Bowie décide de déménager en Angleterre mais son célèbre salut nazi lui vaudra les foudres de la critique et il décide alors de passer ses jours en Allemagne, plus précisément à Berlin. Sa collaboration avec Brian Eno (ancien Roxy Music) et son intérêt pour l’histoire de ce pays – principalement les pages noires des années nazies – le pousseront à créer une œuvre encore aujourd’hui difficile d’accès et très controversée : ce qu’on a appelé la Trilogie Berlinoise, c’est-à-dire les albums Low, Heroes et Lodger. Le premier, paru en 1977, bénéficie de critiques mitigées à sa sortie, mais ses relents électroniques grandement influencés par les groupes allemands de l’époque s’avèreront une source d’inspiration majeure pour la new-wave des années 80. Même si des titres comme Sound and Vision ou Be my Wife sont plutôt accessibles, il faut bien dire que le reste de Low requiert une écoute plus soutenue, tant les pistes à la froideur clinique qui le composent sont particulières.
Très semblable à Low dans le son et la structure – une première moitié chantée et la deuxième instrumentale – Heroes bénéficie en outre de l’apport du guitariste de KING CRIMSON, Robert Fripp. Beauty and the Beast, Joe the Lion, Heroes et Blackout sont autant de classiques de la carrière de Bowie qui reprend des couleurs (si l’on considère que le blanc et le noir, teintes prédominantes de l’apparat de l’Anglais et de sa musique, sont des couleurs).
Le Mince Duc Blanc (Thin White Duke), comme Bowie se fait appeler à l’époque, sort la troisième partie de sa Trilogie en 1979. Il s’agit de Lodger, plus accessible que ses deux grands frères, dans la mesure où il est composé de morceaux plus aisément identifiables. Néanmoins, il bénéficie toujours d’une production d’avant-garde, faite de sons électroniques largement empruntés à Kraftwerk et à d’autres membres de la scène électronique allemande.
Les années 70, période du triomphe de Bowie, sont sur le point de se terminer et ce dernier en profite pour sortir son dernier grand album, Scary Monsters. Il se place comme une sorte de résumé des tendances diverses que Bowie a su exploiter durant ces dix dernières années : glam rock, électronique, ballades rock…
Par la suite, l’Anglais aura beaucoup plus de difficultés à nous proposer une musique en avance sur son époque, comme cela fut le cas entre 1971 et 1979. Il tournera dans quelques navets, collaborera avec QUEEN (le piteux Under Pressure) et sortira des albums à l’inspiration variable : Let’s Dance (son plus grand succès commercial) en 1983, contient des hits comme China Girl ou Modern Love, mais le reste de l’album demeure assez pitoyable. Idem pour Tonight (seul Blue Jean se sauve) et Never let me down, ses plus mauvais albums. Black Tie white Noise est à peine meilleur…
En 1995, Bowie sent qu’il tourne en rond et que sa réputation de pionnier se ternit passablement puisqu’il n’a de cesse de composer des albums fades et peu inspirés. Il décide alors de collaborer à nouveau avec Brian Eno et Outside voit alors le jour. On sent clairement ce son si caractéristique qui a fait le charme de Low et Heroes, de même que l’influence techno et rock des groupes de l’époque. Malheureusement, cet album long et au concept peu clair (encore des histoires pseudo-cybernétiques) ne contient que quelques plages satisfaisantes : Hallo Spaceboy et Strangers when we meet.
Puisant son inspiration dans la techno et la jungle, après les tentatives infructueuses de suivre le wagon post-grunge de Outside, Bowie nous gratifie en 1997 d’un Earthling en demi-teinte. Certes, les trouvailles sonores associées au timbre de voix si caractéristique de David Bowie sont louables, mais il y a trop de Goldie et de Prodigy là-dedans…
Hours, en 1999, nous fait retrouver un Bowie pas tout à fait convaincant, mais du moins prêt à réutiliser la musique de son passé plutôt que de vouloir à tout prix sonner comme les autres. Heathen et Reality, sortis respectivement en 2002 et 2003, sont dans la même veine.
Si vous souhaitez avoir un aperçu de Bowie, je ne peux que vous conseiller le Platinum Collection, un coffret de 3 CDs regroupant ses meilleurs titres entre 1969 et 1987. Bien sûr, il manque toujours quelque chose, mais la plupart des titres précités sont présents...
Si vous souhaitez avoir un aperçu de Bowie, je ne peux que vous conseiller le Platinum Collection, un coffret de 3 CDs regroupant ses meilleurs titres entre 1969 et 1987. Bien sûr, il manque toujours quelque chose, mais la plupart des titres précités sont présents...
Adulé durant son Age d’Or, David Bowie a eu le talent unique dans le milieu du rock de changer continuellement de veste et il est clair que ce côté caméléon est bien présent à l’esprit des auditeurs même occasionnels du musicien. Il a su, en outre, s’entourer de très bons musiciens et producteurs, Ronson et Eno en tête, qui l’ont beaucoup aidé à mettre en forme des idées parfois un peu floues. On a de plus longtemps critiqué Bowie en disant qu’il n’était qu’un opportuniste s’appropriant les innovations des autres et les présentant dans une enveloppe plus attrayante, ce qui est peut-être vrai, mais il ne fait aucun doute que Bowie, à la différence des Rolling Stones ou des Lou Reed dont il se serait inspirés, a su changer de style le moment venu plutôt que de s’engluer sans trêve dans la même mélasse. Même s’il peine désormais à retrouver la qualité qui resplendissait de ses albums des années 70, Bowie n’en reste pas moins l’un des musiciens les plus talentueux et mystérieux du rock.
« Bowie est trop important. » (Namus)