Jacques Attali : Une brève Histoire de l'Avenir (Fayard, 2007)
Résumer décemment le Curriculum Vitae de Jacques Attali en quelques lignes tient du blasphème, tant cet intellectuel aura marqué de son empreinte les sphères de l'économie et de la politique française : né à Alger en 1943, il quitte son pays natal en proie aux conflits treize ans plus tard pour s'installer avec sa famille à Paris. Etudiant brillant, Attali obtient un doctorat en sciences économiques, un diplôme d'ingénieur, de même qu'en sciences politiques et à l'ENA. François Mitterrand le remarque et en fera son conseiller spécial durant dix ans, de 1981 à 1991. Attali se distingue également par la création d'organisations non-gouvernementales telles que Action Internationale Contre la Faim et se place comme un pionnier en matière de développement de nouvelles technologies (Eurêka). Auteur du Verbatim, des Modèles Politiques (1972) ou encore de biographies de grands penseurs (Blaise Pascal, Karl Marx...), il publie en 2007 Une brève Histoire de l'Avenir, clin d'oeil à Une brève Histoire du Temps de Stephen Hawking. Désireux de donner une vision plausible de notre avenir, Attali s'attelle tout d'abord à résumer les grandes étapes de notre histoire marquant l'avènement de la démocratie et de la loi du marché. Il décrit en 150 pages les inventions, les leaders et les migrations qui ont formé la société que nous connaissons aujourd'hui, de la découverte du feu à l'Internet, en passant par l'écriture, le textile et le moteur à explosion. L'ascension et le déclin des grandes « capitales » du monde (Athènes, Rome, Venise, Amsterdam ou encore New York) nous permettent de tirer des « leçons pour l'avenir », comme les nomme Attali, qui aideront à prévoir les transformations que la planète subira dans les cinquante prochaines années.
Se basant sur les tendances économiques actuelles, l'évolution de la démographie et les avancées techniques, Attali prévoit la chute inévitable de l'Empire américain, la montée en puissance de la Chine, de l'Inde (le pays le plus peuplé dans vingt ans), de la Corée du Sud et du Brésil qui devront cependant résoudre leurs problèmes internes (système politique, instruction, corruption) s'ils souhaitent obtenir un rôle de premier plan. L'auteur décrit également la stagnation de l'Union Européenne, incapable de développer davantage son économie et de retenir ses cerveaux, de même que les difficultés constantes de l'Afrique à se défendre contre le pillage de ses matières premières par les grandes puissances mondiales, telles que la Chine et la Russie. Au niveau social, le citoyen, toujours plus individualiste, verra augmenter son investissement dans deux domaines principaux : la sécurité (assurances) et le divertissement (cinéma, musique, web...), tandis que le démantèlement familial et sa capacité de migration prendront inexorablement l'ascenseur.
Passées ces prévisions énoncées par nombre de spécialistes, Attali décrit ensuite les trois phases qui formeront l'avenir, selon lui : l'Hyperempire, paroxysme de l'aliénation moderne comprenant la surveillance poussée à l'extrême, une privatisation globale (santé, éducation...) et un monde gouverné par plusieurs mégapoles dont aucune ne parviendra à s'extirper du lot. Ceci pourra conduire à terme à une exacerbation des tensions internationales en raison de la rareté des matières premières, de la course à l'armement ou de la religion. Des groupuscules nihilistes mettront le feu aux poudres, comme ceci est déjà le cas, et les nations chercheront toujours plus de moyens de protection onéreux et sophistiqués. Cet Hyperconflit entrainera éventuellement la fin de l'humanité car, comme le dit l'auteur, rien là d'impossible : la tragédie de l'homme est que, lorsqu'il peut faire quelque chose, il finit toujours par le faire, à moins que certaines entités dont l'Union Européenne ou des organismes de prévention des conflits, tels que le Search for Common Ground ou l'ONU, ne parviennent à enrayer ces tensions. Alors peut-être naîtra ce qu'Attali nomme l'Hyperdémocratie, fruit d'une collaboration entre des individus souhaitant partager leurs valeurs et leur savoir, créant ainsi une économie dite « relationnelle » sans but lucratif, à l'image de PlaNet Finance basée sur le microcrédit (financer des personnes pauvres pour qu'elles puissent développer durablement leur activité). Rappelons d'ailleurs que Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 2006 pour son aide au Bangladesh (près de 5 milliards de Dollar prêtés en vingt ans).
Jacques Attali termine son analyse en faisant un aparté sur la France, à la fois pays florissant au niveau mondial et productivement sur le déclin qui devra s'acquitter de nombreuses tâches (insertion des jeunes travailleurs, expansion de ses centres économiques) si elle ne veut pas disparaître. Les prochaines élections présidentielles seront pour lui une occasion inespérée d'infléchir cette tendance. Une brève Histoire de l'Avenir ne constitue pas un ouvrage de Science Fiction censé représenter un monde lointain, mais bel et bien l'évolution de notre société durant les cinquante prochaines années selon l'un des grands théoriciens français. Et la société, c'est nous, ici et maintenant.
Jacques Attali – Une brève Histoire de l'Avenir (Fayard Editions, 2007)