KORN : Korn (chronique, 1994)
Je me suis longtemps demandé si KORN avait sa place sur ce site. Il est indéniable que le groupe californien de Bakersfield a marqué de son empreinte les années 90 grâce à des albums comme Korn (1994), Life is Peachy (1996) et Follow the Leader (1998), récoltant au passage un succès planétaire et l’admiration ainsi que l’émulation de nombreuses formations de metal. Cependant, on peut admettre que le groupe a géré le stardom avec une réussite toute relative. Certes, sa tournée itinérante Family Values jouit aujourd’hui encore d’une fréquentation appréciable et les albums de KORN, bien que convenus et surproduits, se vendent toujours comme des petits pains. Cependant, force est de constater que la machine à fric américaine n’a plus grand chose à proposer au niveau strictement musical : les structures de compositions de KORN sont restées sensiblement les mêmes que celles des premiers jours et le groupe, par manque d’envie, de technique peut-être, s’est contenté d’en modifier uniquement la forme, c’est-à-dire la production. Chaque nouvelle sortie discographique vantait la facture ahurissante qui était destinée aux frais de studio mais quand on sait le temps et les deniers que LED ZEPPELIN a dépensé pour ses premiers albums, on se dit que le talent ne s’achète pas et que c’est bien mieux comme cela. Enfin, terminons cette diatribe en rappelant que KORN se trouve sous l’égide de la maison de management The Firm, qui chapeaute également les BACKSTREET BOYS. On vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez.
Traveling arrière : Bakersfield, 1994. Cinq teenagers décident de former le groupe KORN : quatre rescapés de la formation L.A.P.D. (Los Angeles Police Department) et un ancien assistant légiste qui mangeait des biscuits dans son garage, Jonathan Davis, jeune homme torturé exhibant à son palmarès des abus physiques qu’il a subi durant son enfance. L’origine du mot « Korn » ? De nombreuses versions ont circulé mais en voici une qui, à défaut d’être véridique (?), s’avère plutôt salace, pour ne pas dire répugnante : un grain de maïs (corn) qu’un jeune homme dans un bar arborait sur la langue après s’être fait déféquer dans la bouche par son conjoint. Charmant ! La musique de KORN, quant à elle, sera lourde, elle sera inquiétante, un cocktail entre SEPULTURA, FAITH NO MORE et des rythmiques qui ne sont pas sans rappeler les classiques du hip-hop, notamment grâce à sa section rythmique menée par le bassiste Reginald Arvizu (surnommé Fieldy) et le batteur David Silveria. Le gourou qui les dirige à la prod, Ross Robinson, ne sera pas étranger à la fabrication de ce nouveau son que d’autres groupes réclameront à tue-tête lorsque KORN se débarrassera de Robinson vers 1997. Les textes et l’iconographie du groupe, souvent reliés à des thèmes enfantins et tourmentés, rappellent les anciens traumatismes du chanteur.
Premier album, l’éponyme Korn. Sur la pochette, une jeune fille sur une balançoire remarque la présence d’un vilain monsieur dont nous n’apercevons que l’ombre sur le sable. Autant dire que le décor est planté tel un parasol sur une plage de la Costa Brava. Le programme débute avec Blind, un classique qui comprend une structure réutilisée quasi-systématiquement par le groupe : une introduction à la tension croissante avant la déflagration que représente le riff principal joué par les guitaristes James « Munky » Shaffer et Brian « Head » Welch. Un couplet plus apaisé mais toujours tendu, mené par les feulements et les grognements de Jonathan Davis. Après le deuxième refrain, un intermède qui se révèle également une marque de fabrique pour les Californiens de par sa montée en puissance. Le titre se termine par une outro de toute beauté : les sons bizarres des guitares, entre licks mutins et scratches dans la tradition d’un Tom Morello (RAGE AGAINST THE MACHINE). Ball Tongue, la deuxième piste, s’avère tout aussi jouissive, notamment grâce à la basse de Fieldy, tout en slap, qui donne une sonorité très fraiche à l’ensemble, ainsi que l’intermède à deux voix qui confère un caractère hypnotique et inquiétant. Enfin, les refrains mettent en évidence les fameux « gibberish » de Davis, sortes de cris barbares et rythmiques dont le chanteur est friand. Les structures binaires en mid-tempo et la basse sinueuse de Fieldy sont plus que jamais de rigueur sur Need to, Clown et Divine, les titres suivants. A noter l’introduction de Clown où le groupe fait mine d’avoir de la peine à démarrer ensemble. Oui, il faut un peu d’humour dans un disque d’une telle noirceur. La sixième chanson de l’album, Faget, se caractérise par la qualité de frappe du batteur David Silveria qui nous fait montre de son meilleur niveau, imprimant sans cesse avec son acolyte à la basse des rythmes qui contrastent avec la caractère linéaire des guitares. Le pont furieux vers 4:10 met en évidence la voix enfantine de Davis qui détonne avec les assauts soniques de ses compères.
Des bambins il est encore question sur le titre suivant, Shoots & Ladders, Jonathan Davis calant une comptine sur les ambiances tribales des musiciens. On remarquera d’ailleurs l’introduction à la cornemuse (kornemuse ?) qui représente un nouveau point marqué par le groupe, insatiable sur ce premier album. En tout état de cause, l’un des titres-phare du répertoire de KORN. Le morceau suivant, Predictable, est en effet quelque peu prévisible ; c’est ce qu’on appelle allier le geste à la parole. On saluera cependant l’intermède tout en contre-temps mené par la section rythmique. On enchaîne avec Fake et Lies, deux compositions pachydermiques de bon aloi, puis Helmet in the Bush, moins efficace si ce n’est sa conclusion terrorisante. Daddy, une interminable torture mentale de 9 minutes, ferme la marche. Dès les premières paroles de Jonathan Davis, chantées a cappella, on sent que l’on va passer un mauvais quart d’heure :
Mother please forgive me, I just had to get out all my Pain and Suffering, Now that I am done, remember that I will always love you, I’m your Son
(traduction : « Mère, pardonne-moi, s’il te plait, il fallait que je fasse sortir cette douleur et cette souffrance, maintenant que j’ai terminé, rappelle-toi que je t’aimerai toujours, je suis ton fils »)
Les règlements de compte en famille ont peut-être meilleur temps de rester entre quatre murs, mais si la condition d’enfant maltraité de Davis peut aider des personnes qui ont vécu la même situation ou simplement sensibiliser les autres, disons que la mission est accomplie, et cela avec force cris et même des pleurs. Ce premier album, doté d’une puissance assez exceptionnelle en raison de ses nombreux contrastes et de l’abileté du groupe à concentrer autant de souffrance en 12 titres (on éludera le 13ème titre caché), ouvrira la voie au courant baptisé neo-metal (ou nu-metal), dont KORN se feront les chantres. Des groupes comme COAL CHAMBER, DEFTONES, SLIPKNOT et même SEPULTURA (dont le Chaos A.D. (1993) est paradoxalement une influence incontestable pour KORN) doivent beaucoup aux cinq Californiens qui nous livrent en 1994 leur meilleur cru. Et même si le groupe n’est désormais plus que l’ombre de lui-même, il aura au moins eu le mérite d’apporter en temps voulu une alternative valable au rock moderne.
KORN – Korn (Immortal Records / Epic, 1994)