BECK : Mutations (chronique, 1998)
L’ami BECK se révèle un musicien d’une versatilité extrême : après un premier album folk-country-rock-hip hop en 1994 – le fameux Mellow Gold et son single phare, Loser – il sort le somptueux Odelay en 1996, un autre condensé de styles hétéroclites produits par les Dust Brothers (Beastie Boys, BO de Fight Club). Ce LP contient des perles telles que Devil’s Haircut, The New Pollution ou encore Where it’s at… Alors qu’on attend le blondinet au tournant pour un nouveau cocktail de fusion, il nous balance en 1998 quelque chose de tout à fait différent. Mutations nous montre en effet une transformation notable : il n’est pas question ici de passer d’un rap de blanc bec à des licks country ou encore à un riff bien rock agrémenté de samples électroniques. L’Américain a recentré son propos sur des mélodies essentiellement acoustiques, avec des instruments classiques (guitares, basse, batterie) mais malgré tout avec quelques surprises : piano et autres claviers, sonorités indiennes et cuivres.
En dépit du caractère moins éparpillé de Mutations, il faut cependant noter que Beck n’a pas lésiné sur la richesse des arrangements et, trait assez inédit, fait transparaître chez l’auditeur une facette plus mature de sa personnalité : l’émotion. L’album débute avec l’excellente carte de visite Cold Brains, qui met d’emblée en valeur la faculté de composition du jeune homme, magnifiée par la production soignée de Nigel Godrich, producteur attitré de RADIOHEAD. La plage suivante, Nobody’s Fault but my own, nous immerge dans des ambiances orientales (plus précisément indiennes) au moyen de sitars et autres esraj. Beck répète inlassablement « Tell me that it’s nobody’s Fault but my own » tel un mantra, recréant une atmosphère qui resurgira à plusieurs reprises dans Mutations : une quiétude lasse et amère. Lazy Flies s’avère plus énergique avec ses percussions et ses arpèges délicats, même si Beck fait toujours preuve d’un certain cynisme (« The dust of Opiates and Syphilis patients on brochure vacations »). On remarque d’ailleurs que le musicien nous a livré des textes très travaillés, empreints de belles tonalités et d’un sens de la poésie remarquable.
Après l’excursion blues-folk de Canceled Check, on retrouve des arpèges en 6/8 sur la mélancolique We live again, menée par la voix éreintée de Beck qui passe d’un registre à l’autre avec une facilité déconcertante. En effet, la sixième chanson, Tropicalia, exhibe une essence bossa nova dynamique et rafraichissante, malgré les paroles très acides de Beck à l’encontre des touristes occidentaux profitant des paradis tropicaux et miséreux (« Love is a poverty you couldn’t sell, Misery waits in vague Hotels to be evicted »). On retrouve des arrangements plus classiques mais néanmoins magnifiques sur Dead Melodies, où la voix de Beck menace maintes fois de déraper, en vain ; on saluera particulièrement le duo de guitares durant l’intermède.
Après une Bottle of Blues teintée des vapeurs enivrantes de saloon, on continue sur une excellente lancée : la low-key O Maria et son trombone fatigué, la mélancolique Sing it again et son refrain émouvant, ainsi que la rancunière Static (« It’s so easy to laugh at yourself when all those jokes have already been written »). Beck électrifie quelque peu sa guitare sur l’avant-dernière piste, la sinueuse Diamond Bollocks. On passe d’une mélodie entêtante au clavecin à un couplet rock digne du meilleur BEATLES. Suivront plus tard un riff furieux entrecoupé de piaillements d’oiseaux ainsi qu’un intermède aux allures James-Bondiennes. Eh oui, il fallait tout de même un peu de folie… Il s’agit d’un album de BECK, que diable ! Ce superbe disque se termine avec la minimaliste Runners Dial Zero : quelques notes de piano et la voix lointaine de Beck… Il semble clair que Mutations ne risque pas d’égayer vos fins de soirée (pour cela, vous pourrez toujours écouter Odelay ou Midnite Vultures), mais son caractère introspectif, poétique et posé en fait une œuvre majeure dans la discographie de BECK qui nous prouve, si besoin était, l’étendue de son talent. A noter l’artwork très « particulier » du livret, signé Tim Hawkinson.
BECK - Mutations (David Geffen Rec., 1998)
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- La biographie de BECK (ici)
- La chronique de Odelay (là)
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- Le site officiel de BECK