Henry James : Le Tour d'Ecrou (The Turn of the Screw)
En 2001, Alejandro Amenabar nous gratifie d'un excellent film, Les Autres, aux ambiances victoriennes et à l'intrigue bien ficelée. En attendant le retour (très hypothétique) de son mari, parti au front, une mère (Nicole Kidman) élève ses enfants dans un manoir, ces derniers étant atteints d'un Xeroderma pigmentosum, affection aussi rare que spectaculaire se manifestant par une hypersensibilité à la lumière. Le prétexte était tout trouvé pour plonger la demeure dans une obscurité propice au mystère. Impossible de ne pas mettre en relation ce film et la nouvelle The Turn of the Screw (Le Tour d'Ecrou) de Henry James, parue cent ans plus tôt. Evidemment, rien à voir avec The Turning of the Screw, titre introduisant le médiocre Era Vulgaris des QUEENS OF THE STONE AGE. Certains pourraient penser que je ne manque pas une occasion de déverser mon fiel sur la bande à Josh Homme et ils n'auront pas tort, au détail près que c'est surtout ce dernier album qui me débecte, pas le reste. Bref. D'ailleurs, Natasha Shneider, claviériste sur la tournée de Lullabies to paralyze, est décédée d'un cancer il y a peu. Bon.
Henry James est à de nombreux égards considéré comme l'un des plus grands romanciers anglophones. Evoluant dans une veine réaliste, il a puisé ces ressources chez des auteurs tels que Hawthorne ou Balzac. Descendant d'immigrés irlandais et né aux Etats-Unis, il a d'ailleurs passé le plus clair de son temps en Europe, essentiellement en Angleterre, mais aussi en France, en Italie ou en Suisse. Outre des classiques tels que Un Portrait de Femme ou Les Ailes de la Colombe, James a fait paraître une nouvelle qui demeure aujourd'hui encore un modèle en termes narratifs. Le Tour d'Ecrou peut être vue comme une histoire de fantômes, introduite par un certain Douglas qui fait face à une assemblée de gentilhommes : une jeune enseignante vivant à Londres répond favorablement à une annonce pour un poste de gouvernante - fort attrayant du point de vue pécunier - dans un vieux château de l'Essex. Elle devra s'occuper de Miles et Flora, deux charmants bambins dont l'oncle ne se soucie guère et qui vivent en compagnie d'une certaine Mme Grose. Bien vite, la jeune femme se rend compte que les enfants ne sont pas aussi innocents qu'il y paraît et surtout, elle constate l'apparition à plusieurs reprises de deux personnages, un homme et une femme, dans les environs du château. D'après les descriptions qu'elle fait à Mme Grose, ces deux entités ressemblent fort à d'anciens domestiques de la maison, décédés de façon mystérieuse il y a quelques années.
Henry James brille dans ce genre de fresques gothiques où l'indicible et les faux-semblants tiennent le haut du pavé. Ainsi, la relation de la gouvernante avec les enfants est de prime abord épanouie, celle-ci multipliant les termes élogieux à leur égard (béatifique, beauté angélique et image radieuse dans une même phrase). Mais ce rapport va devenir toujours plus tendu, même si les gamins conservent toujours cette attitude très innocente. Le démon, lorsqu'il est décrit de façon judicieuse, porte les apparats du bien. Le concept de « point de vue » est également très marquant : James intègre des miroirs, des symétries. Du coup, on en vient à l'une des idées centrales de ce Tour d'Ecrou. S'agit-il de véritables fantômes ou d'un trip hallucinatoire de la gouvernante - qui au fond est un peu la seule à voir de telles choses? Préconiser le surnaturel ou la folie? La force du récit, évidemment, c'est que personne n'a jamais pu trancher de façon catégorique, des arguments plaidant en faveur de l'une et l'autre éventualité. Et comme pour valider la qualité intrinsèque de cette nouvelle, outre les commentaires infinis qu'elle a soulevés, on pourrait mentionner les nombreuses adaptations cinématographiques, la plus réussie étant probablement Les Innocents (1961) de James Clayton avec, à la mise en scène, un certain Truman Capote.
Henry James – Le Tour d'Ecrou (The Turn of the Screw)
Disponible en édition bilingue chez GF