Breaking Bad (Série, Vince Gilligan)
Dans Vivre (Ikiru), Akira Kurosawa dresse le tableau superbe d'un individu apprenant qu'il est atteint d'un cancer incurable et qu'il lui reste à peine quelques mois à vivre. Takashi Shimura, un acteur fétiche du Sensei, interprète à merveille ce personnage quelconque qui va décider de profiter de ses derniers instants : il envoie valdinguer son boss et fréquente les quartiers chauds de Tokyo. Plus de cinquante ans après, un certain Vince Gilligan nous propose sa version : Walter White (Bryan Cranston, le père de Malcolm dans... Malcolm!) est un enseignant de chimie dans un lycée d'Albuquerque, dans le Nouveau Mexique. Il mène une vie sans histoires, si ce n'est qu'il lui arrive de donner un coup d'éponge à de luisantes Lamborghini pour arrondir ses fins de mois. Son épouse Skyler (Anna Gunn) est enceinte et son fils, Walter Jr (RJ Mitte), est infirme moteur cérébral. C'est pas forcément la joie. Sauf qu'une méchante toux commence à gêner l'ami Walt. Une chose en amenant une autre, il se retrouve aux urgences et le diagnostic tombe tel un couperet : cancer bronchique. Avancé. Pas d'opération à visée curative (= stade IIIb ou plus = tumeur touchant des structures voisines comme l'oesophage, le coeur, les vertèbres ou présence de ganglions tumoraux à distance). C'était la minute médicale (même s'ils parlent d'un stade IIIa dans la série). En gros, WW est dans la merde. Il vient de fêter ses 50 ans et on lui trouve un cancer alors qu'il n'a jamais fumé une clope. Qu'à cela ne tienne! Alors qu'il assiste à une descente de flics (son beau-frère travaille à la DEA), il intercepte un jeune homme qui fréquentait le lycée où Walt officie. Jesse Pinkman (Aaron Paul) n'était pas ce qu'on pourrait appeler l'élève modèle. En fait, il ne comprenait carrément rien à la notion d'énantiomère. Par contre, il semble versé dans le trafic d'amphétamines. L'équation est vite résolue : Walt a besoin de fric, rapidement, afin de subvenir aux besoins futurs de sa famille et de se payer une chimio. Il possède les connaissances pour la fabrication d'une forme élaborée d'amphét', tandis que son acolyte pourrait tranquillement écouler les stocks. So this is the pitch.
La première saison de BREAKING BAD (7 épisodes d'environ 45 minutes) a été diffusée dans son intégralité il y a quelques mois sur AMC, American Movie Channel. Oui, sept épisodes seulement car grève des scénaristes. Qui a dit que l'art passait avant l'aspect économique? A mi-chemin entre WEEDS et SAVING GRACE, la série poursuit l'effort fourni par certaines productions comme DEXTER dans le sens où l'on suit un antihéros commettant des actes pour le moins répréhensibles mais qui, dans un certain contexte, provoquent chez le spectateur de la compréhension. A mille lieues du papa marrant mais un peu débile qu'on peut apprécier dans Malcolm, Bryan Cranston livre une prestation convaincante, monture de lunettes pas très chée-bran et moustache à l'appui. Figure solitaire et peu loquace, il sera confronté à plusieurs dilemmes qu'il abordera tout au long de la saison de BREAKING BAD. Le caractère réaliste de la série et l'intention d'aborder en profondeur des sujets difficiles tels que la maladie et la morale sont certainement des points positifs. Il n'est en effet pas rare de suivre une discussion sérieuse sur plusieurs minutes, à la différence de certains blockbusters au montage épileptique et aux intrigues farfelues, pour ne pas dire ridicules.
Ne vous méprenez pas, BREAKING BAD possède également quelques millimoles de sens comique, d'ailleurs souvent intégré dans les scènes les plus difficiles. Sans qu'on puisse parler de révolution esthétique, on notera en outre une certaine recherche dans les plans et le contraste, notamment dans l'épisode-pilote. Un point à développer pour la suite – car, oui, une deuxième saison est d'ores et déjà prévue – serait éventuellement la bande-son, actuellement assez anonyme, à dire vrai. En somme, malgré quelques retouches à faire et une conclusion un peu abrupte (on aurait souhaité quelques épisodes de plus), on peut aisément considérer que le bécher est plus qu'à moitié plein. Alors... à votre santé!
Breaking Bad
2007- ...
American Movie Channel
Réalisé par Vince Gilligan
Avec Bryan Cranston, Anna Gunn, RJ Mitte, Aaron Paul
(merci pour la découverte, John!)