Paul Auster : La Trilogie new-yorkaise (Editions Babel)
L'austère Paul Auster a de quoi rebuter avec ses ouvrages empreints de post-modernisme psychanalytique. Même si de nombreux lecteurs lui préfèrent d'autres récits, la Trilogie new-yorkaise demeure un pan essentiel de son oeuvre et se place comme le parfait exemple d'une écriture mathématique, Auster nous exposant les hypothèses de son théorème, mais se gardant bien de terminer sa démonstration.
Cité de Verre relate la descente aux enfers de Daniel Quinn, écrivain de polar à succès qui reçoit un soir un appel du couple Peter et Virginia Stillman, à la recherche d'un détective privé nommé... Paul Auster! Ni une ni deux, Quinn se dit que cela pourrait s'avérer amusant de prendre sa place et accepte leur mission que l'on peut résumer ainsi : le fantasque et érudit père de Peter Stillman vient juste de sortir de prison et aurait l'intention de tuer son fiston, ce que Quinn doit absolument empêcher. La première page de Revenants nous livre d'emblée l'essentiel de sa trame : l'affaire semble relativement simple. Blanc voudrait que Bleu file un dénommé Noir, qu'il le tienne à l'oeil aussi longtemps qu'il le faudra. Là aussi, le détective Bleu apprendra à ses dépens que les dés sont pipés, que l'équation est faussée dès le départ, non sans se perdre lui-même à force d'observer nuit et jour le placide Noir. Enfin, dans La Chambre dérobée, il est question d'une curieuse histoire de souvenirs et de substitution. Le narrateur, un journaliste modeste, reçoit un courrier de la part d'une certaine Sophie Fanshawe. Ce nom n'est pas sans lui rappeler son meilleur ami d'enfance, qu'il a perdu de vue depuis de nombreuses années. Sa femme lui apprend que ce dernier a disparu soudainement il y a de cela six mois et, résignée à l'idée de ne plus jamais le revoir, elle souhaite exaucer un de ses souhaits les plus chers : proposer au narrateur de se plonger dans ses manuscrits tenus secrets afin d'évaluer leurs chances de publication et de rédiger sa biographie.
Ces trois courts romans présentent clairement des points communs, la thématique de l'identité étant centrale : le narrateur est hanté par un homme sans visage qu'il doit poursuivre et perd progressivement contact avec la réalité. Il existe constamment un jeu de miroir entre celui qui est censé traquer et celui censé subir, jusqu'à ce que les figures se brouillent, concept que les anglophones adeptes de tournures littéraires exotiques (en l'occurrence allemandes) nomment parfois Doppelgänger, c'est-à-dire un double. De plus, certains noms (Stillman, Quinn) reviennent dans plusieurs histoires, ce qui fait de La Trilogie new-yorkaise une oeuvre se repliant sur elle-même et étant par là-même infinie. On retrouve également la prépondérance des écrits dans le quotidien des personnages ; dans La Chambre dérobée, il s'agit des textes du disparu Fanshawe, tandis que dans les deux autres récits, le narrateur griffonne des notes fébriles sur un calepin, témoin décousu de ses observations. On remarquera en outre des références littéraires à Poe, Thoreau, Melville ou encore Cervantès qui font office de contrepoint au récit. Le sens des mots et le rôle du langage dans la société font d'ailleurs partie des thèmes essentiels chez Auster, comme ceci est explicité dans l'ouvrage du père Stillman de Cité de Verre. La ville de New York, à laquelle on doit le titre de la Trilogie, détient enfin une place majeure dans les récits, a fortiori pour Cité de Verre et Revenants, puisque ses rues tentaculaires et asphyxiantes contribueront à l'égarement physique du héros, ce qui met d'autant plus en évidence ses difficultés à combler son vide intérieur.
Paul Auster égrène trois faux romans policiers aux allures d'axiome qui se placent avant tout comme une quête identitaire, faite d'impasses et de labyrinthes dont le lecteur, tout comme le personnage principal, éprouvera passablement de difficultés à s'extirper.
Paul Auster – La Trilogie new-yorkaise (Cité de Verre, Revenants, La Chambre dérobée)
(City of Glass, Ghosts, The locked Room)
disponible en VF aux Editions Babel
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