THE MARS VOLTA : The Bedlam in Goliath (chronique, 2008)
Chaque nouvelle sortie discographique de MARS VOLTA est enveloppée d'un voile de mystère et accompagnée d'un concept abracadabrant et souvent morbide. De-loused in the Comatorium s'inspirait de Julio Venegas, un ami du duo fondateur (Cedric Bixler Zavala et Omar Rodriguez-Lopez) qui s'est suicidé après s'être éveillé d'un long coma. Avec Frances the Mute, la formation est restée dans la rubrique nécrologique puisque l'album est un hommage à Jeremy Michael Ward, leur sound manipulator décédé d'une overdose. Enfin, le troisième album, Amputechture, recelait vraisemblablement moins d'éléments pour ainsi dire autobiographiques et se voulait une parabole sur la foi. L'année 2008 vient de commencer et les anciens trublions d'AT THE DRIVE-IN sont de retour avec The Bedlam in Goliath, quatrième livraison studio depuis 2003 (y en a qui chôment pas). Cette fois-ci, on a droit à un trip hallucinatoire sur fond de mysticisme, puisque la conception-même de cet album semble fortement liée à un ouija, cette fameuse planchette servant à invoquer des esprits durant une séance de spiritisme en famille. Omar le guitariste touffu en aurait obtenu un exemplaire, baptisé Soothsayer, alors qu'il se trouvait à Jérusalem et rapidement, le groupe a passé ses soirées à l'utiliser, communiquant avec un certain Goliath, entité possédant trois voix, dont celle d'une jeune fille assassinée. Le hic, c'est que plusieurs événements plus ou moins tragiques ont eu lieu de manière concomitante à ces séances occultes, c'est pourquoi le guitariste décide d'enterrer cette Ouija Board dans le désert. De LED ZEPPELIN à BLACK SABBATH en passant par TOOL, les grandes formations de rock ont souvent flirté avec des orientations ésotériques et, réalité ou fiction, les membres de MARS VOLTA sont bien assez intelligents pour utiliser cette stratégie (de vente) à leur avantage. Il convient à mon sens de considérer ceci comme une anecdote (d'une demi-page de texte), même si les paroles absconses de Cedric Bixler Zavala peuvent sembler plus claires à la lumière de cette explication.
Ce qui nous intéresse davantage, c'est comment la formation a géré son come-back après nous avoir servi un Amputechture certes appétissant à première vue, mais dont la sauce prog nous restait parfois en travers de la gorge. Dès les premières secondes de Aberinkula, on constate que le TMV classé '08 se rapproche davantage de Days of the Baphomets que d'Inertiatic ESP. Entendez par là qu'on se trouve dans la continuité de l'album précédent, un assemblage méticuleux mais explosif de guitares fuzzées, de piaillements suraigus et de rythmes frénétiques. Hormis le noyau dur formé par Omar proton et Cedric neutron, on retrouve la plupart des musiciens de 2006, électrons libres formant un atome à la stabilité aussi surprenante que naturelle. Le RED HOT John Frusciante, invité de luxe sur chaque album, double la totalité des parties guitare de Rodriguez-Lopez. Aberinkula décline refrains brise-glace et voix vocoder, solis distordus s'intercalant avec un saxo free, licks orientalisants... pas de doute, on se trouve bien en compagnie de MARS VOLTA, qui enchaîne sans perdre de temps avec Metatron, dont on notera plus particulièrement la structure centrale et aérienne, immédiatement suivie d'un riff supersonique et la basse galopante de Juan Alderete. Rappelons que ce terme se rapporte à un ange dont il est fait mention dans les écritures judaïques et chrétiennes, représentant en outre la voix de Dieu (les personnes versées dans le sujet remarqueront le lien avec le titre Tetragrammaton). Ilyena est introduite par la voix transfigurée de Bixler Zavala, le chanteur n'hésitant pas à utiliser divers effets pour moduler son organe vocal, un procédé qu'il semble apprécier depuis Frances the Mute. Ce troisième titre, soutenu par une rythmique groovy à souhait, est l'un des plus accessibles, le seul qui pourrait légitimement aspirer à une diffusion radio, non sans receler des trouvailles géniales (le break conclusif, par exemple). Wax Simulacra nous permet d'apprécier la maestria du poulpique batteur Thomas Pridgen, nouvelle recrue d'à peine 24 ans. Goliath se place comme l'un des highlights de l'album, avec son riff fusionnant le meilleur de Jimmy Page et Tom Morello et ses envolées vocales à fleur de peau. On pourrait rapprocher ce titre au tentaculaire Cassandra Gemini pour sa fougue zeppelinienne.
Hélas, la suite n'est pas toujours à l'avenant : la formation a tendance à se perdre dans des constructions peu inspirées, voire franchement bordéliques : Cavalettas, facilement le plus mauvais titre composé par MARS VOLTA, ou encore Askepios, où Bixler Zavala semble prendre un malin plaisir à nous faire subir son chant aussi irritant que du papier de verre sur un coupé allemand flambant neuf. Lorsqu'on se souvient de certaines lignes de chant mémorables qui parsemaient De-Loused ou même Amputechture, on a de quoi se sentir floué. Il faut dire aussi que The Bedlam in Goliath, malgré le fait de proposer des morceaux plus ramassés (entre 2 et 9 minutes), évolue sur un terrain nettement plus monocorde que par le passé ; un tempo variant très peu, pas de titre acoustique, de rares moments de groove latino. A la limite, c'est un choix. Et d'ailleurs, le prochain album déjà en chantier promet d'être très calme. Ce qui fâche davantage, c'est de constater que certains enchaînements font preuve d'une maladresse regrettable. Quel paradoxe pour de tels musiciens! Heureusement, le final permet de goûter à des chansons nettement plus réussies : un Ouroborous conquérant, mêlant les riffs les plus bourrins que le guitariste ait jamais composé et un orgue déglingué, ou encore Soothsayer, où la wah wah grouillante se marie à des ambiances orientales. Après la longue complainte du chanteur, le titre s'éteint sur des violons pittoresques et des choeurs religieux. Conjugal Burns, qui vient mettre un point final à 76 minutes de chevauchées funk-prog, alterne à notre grand effarement d'excellentes idées et des passages nettement plus énervants (ce couplet! Cette conclusion cacophonique ridicule).
Si vous n'avez jamais pu blairer THE MARS VOLTA, ce n'est certainement pas The Bedlam in Goliath qui risque de changer la donne. Il faut dire qu'Omar et ses potes, à force de vouloir jouer les drôles d'oiseaux à tout prix, sont sur le point de s'enfermer dans un univers qu'eux seuls semblent comprendre, si l'on excepte les illuminés qui crieront invariablement au génie pour se donner un genre. L'album possède des titres qui ne rougissent pas la comparaison face aux anciens standards, surtout dans la première moitié (Goliath, Metatron, Ilyena), mais également des OVNIs dont on ne sait pas trop quoi penser. Il est louable de vouloir passer pour des avant-gardistes en proposant des structures alambiquées, mais ce que Tic & Tac semblent oublier, c'est que les musiciens les plus progressistes (on pense à Zappa) savaient conserver ce sens de la musicalité qui manque parfois cruellement dans les compositions de MARS VOLTA. Peut-être que je me fourvoie complètement et que ce Bedlam figurera parmi les grandes réussites de la musique contemporaine, mais à son écoute, je ne peux m'empêcher de penser par moments que - comme le disait si bien Cedric Bixler Zavala dans Meccamputechture - « it lacks a human pulse »...
THE MARS VOLTA – The Bedlam in Goliath (2008, Universal Records)
EN ECOUTE...
Metatron sur mon lecteur Jiwa
A LIRE EGALEMENT...
Sommaire MARS VOLTA sur le Gueusif
Intéressant questions-réponses sur Drowned in Sound
BONUS...