FANTOMAS : Amenaza al Mundo (chronique)
Il est des musiques qui déroutent. Celle de FANTOMAS fait partie de cette catégorie, mais attention, pas à la façon de SLIPKNOT ou LINKIN PARK. Mike Patton, l’une des voix les plus originales du metal (terme qu’il déteste), ancien membre de FAITH NO MORE et Mr. BUNGLE, crée en 1998 ce groupe de déjantés. Il recrute Buzz Osborne (MELVINS), Trevor Dunn (Mr. BUNGLE) et Dave Lombardo (SLAYER), un super-groupe qui allie technique et éclectisme et, sur les traces du NAKED CITY de John Zorn, nous livre le premier témoignage de FANTOMAS, nommé à juste titre Amenaza al Mundo (menace au monde).
L’auteur de ces lignes s’est jusqu’à présent caché derrière des noms de groupes afin de situer quelque peu la musique de ce combo maléfique, ceci probablement en raison d’une certaine appréhension à décrire les compositions de FANTOMAS. En effet, il se retrouve désormais devant la tâche ô combien difficile de « vendre » cet album qu’il vénère sans faire fuir l’amateur de rock. Une des caractéristiques majeures de FANTOMAS pourrait être l’audace. Une autre serait le talent. Une troisième la folie furieuse. Ces qualités, qui manquent cruellement à la quasi-totalité des groupes de rock (et je pèse mes mots) font paradoxalement de Mike Patton un individu dangereux que 99,5% de la population musicale souhaiterait voir interné en milieu psychiatrique à l’écoute de ce Amenaza al Mundo. La faible proportion de personnes qui écoute cette musique vit dans une crainte incessante d’être découvert et de subir le même sort, tout en jouissant secrètement de ces plages destructurées et délirantes.
Un auditeur de FANTOMAS se promène paisiblement dans la rue, écoutant notre album… un ami l’aborde…
- Hey ! T’écoutes quoi ???
- Euh, non… rien ! Laisse-moi… (rangeant les écouteurs dans sa poche et cherchant fébrilement le bouton STOP)
- Relax ! Je te demandais juste ce que t’écoutais…
- Euh… (cherchant quelque chose de potable et inoffensif)… le dernier CAKE
- Ah ouais, cool ! Pourquoi t’en fais tout un fromage ?
Voilà la situation déplorable dans laquelle un fan(de)tomas se retrouve quotidiennement. Vivre dans le mensonge et la crainte d’être taxé d’hérétique et de psychopathe. Ceci doit désormais cesser !
Amenaza al Mundo débute avec la voix torturée de Patton, qui bruite des borborygmes incompréhensibles, avant que Lombardo ne teste ses cymbales durant 40 secondes. Buzzo vient à la charge avec des riffs vengeurs et gargantuesques. La première piste se termine après 1 minutes 35 secondes. Ah oui, j’oubliais ! Cet album, d’une durée de 43 minutes, est composé de 30 morceaux qui n’ont d’autre titre qu’un numéro de page. Exemple : la piste 15 s’appelle Page 15. Autre chose : inutile de chercher les paroles dans le booklet avant d’écouter le CD ; en effet, Patton prend un malin plaisir à hurler des insanités et chanter sans prononcer un seul mot existant. Cette liberté vocale se révèle judicieuse et novatrice, mais également terriblement désorientante pour le pauvre auditeur.
Inutile maintenant de décrire chacun des morceaux de ce Amenaza al Mundo. Nous allons plutôt esquisser les tendances principales de la musique de FANTOMAS : des riffs lourds et metal ainsi que des licks déglingués, la batterie mastoc de Lombardo, la basse technique et délirante de Dunn. Patton, au chant, nous livre une prestation dantesque, passant sans crier gare d’un beuglement à la Phil Anselmo (PANTERA) à des hurlements suraigus dignes de DIMMU BORGIR. Il sait également prendre des intonations de femme ou d’enfant et faire passer le Twist de KORN pour une comptine pour enfants grâce à sa voix rythmique, barbare et démente. Indescriptible. Rappelons que des groupes comme DEFTONES, SYSTEM OF A DOWN ou les mêmes KORN n’ont jamais caché l’influence essentielle que l’ancien groupe de Mike Patton, FAITH NO MORE, avait eu sur eux. Nous nous trouvons manifestement avec FANTOMAS face à des compositions encore trop excentriques pour en voir des répercussions sur le metal d’aujourd’hui.
En effet, il est passablement difficile de suivre ce Amenaza al Mundo lors des premières écoutes. Ce fatras sonore, composé d’incessantes cassures rythmiques et stylistiques, passe au premier abord pour un beau bordel. Cependant, après quelques écoutes attentives et courageuses, la structure musicale de FANTOMAS se met éventuellement en place dans nos lobes cérébraux et l’on ne peut qu’admirer la construction minutieuse et jouissive de ces titres. Le fait de se procurer ensuite des enregistrements live du supergroupe de Patton nous conforte dans l’idée que ces gaillards sont complètement ravagés : les morceaux sont repris exactement note pour note lors des concerts!
D’une durée comprise entre 0:29 et 2:14 (à part deux titres de 4-5 minutes et une plage vide), les morceaux de ce LP vertigineux sont suffisamment courts pour maintenir une attention prolongée chez l’auditeur, ce qui est un véritable tour de force puisqu’il n’y a aucun couplet ni refrain dans ces imprécations démoniaques et psychotiques. Les ambiances dark qui parsèment l’album nous montrent bien l’influence que les films noirs et Ennio Morricone ont sur Patton. Le deuxième album de FANTOMAS, The Director’s Cut, est d’ailleurs une sélection à la sauce metal de grands thèmes de films policiers et d’épouvante (Le Parrain, Twin Peaks, Damien la Malédiction, Golem, Rosemary’s Baby…).
Il est temps désormais de citer quelques titres qui font office de pierres angulaires de cet album aussi essentiel que difficile d’accès : les pages 2, 4, 7, 12, 15, 16, 23, 25, 28 et 29. Rien à jeter cependant dans cet album dense et dérangeant.
Tout amateur de musiques expérimentales et de rock un tantinet excentrique trouvera son bonheur dans la musique de FANTOMAS, qui se révèle impressionnante de maîtrise et d’originalité et qui met en évidence le talent certain de ces musiciens hors pair.
Amenaza al Mundo, premier album sorti sur le label Ipecac (propriété de Mike Patton et qui compte aujourd’hui plus de 60 références), est un pied de nez à la guimauve stagnante du rock d’aujourd’hui, une recette véritablement originale et savoureuse qui satisfera au plus haut point les amateurs de sensations fortes.
- RESPECT THE ARCHITECT -
FANTOMAS – Amenaza al Mundo (1998, Ipecac Recordings)
A LIRE EGALEMENT...
- la chronique de Suspended Animation (2005, ici)
- un article sur la carrière de Mike Patton (là)
A VOIR...
- Le site officiel du label IPECAC (où vous pourrez écouter des samples d'albums)